Chaque famille écrit son propre roman. Tour à tour tendre et gai, triste ou conquérant. Karine Le Marchand aime ce type d’histoires. Elle estime que montrer l’homme privé ou la femme politique, dans son intimité, permet de mieux comprendre l’animal politique.
Elle avait, en 2022, provoqué de houleux débats avec les quatre épisodes de son émission “Une ambition intime”, où Marine Le Pen évoquait son amour des chats, ce qui ne dit rien de son programme excluant. Elle y regrettait aussi de ne pas avoir eu le droit, enfant, de lire Pif Gadget. Peut-être que cela aurait changé sa vision du monde ?
L’émission revient aujourd’hui, avec un format plus court, puisqu’en un seul épisode d’environ 1 h 40, dont un montage de 1 h 10 a été montré à la presse. Dans l’ordre d’apparition de cet extrait, interviennent donc l’ancien ministre de l’Intérieur, aujourd’hui ministre de la Justice, Gérald Darmanin, la députée écologiste de Paris Sandrine Rousseau, le numéro 1 du RN, Jordan Bardella, et Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français.
Du storytelling de Darmanin à l’enfance de Sandrine Rousseau
Les séquences montrées aux journalistes suivaient chacun des personnages sur la distance, de la naissance à aujourd’hui, avec des témoignages de proches. Rien ne dit que dimanche ces mêmes témoignages seront montés de la même façon.
Apprend-on grand-chose dans cette nouvelle émission ? Oui et non. Gérald Darmanin raconte son histoire familiale revue et visitée : ses grands-pères immigrés, ses grands-mères « fille mères », la pauvreté. Son enfance, dans une petite loge de concierge à Paris, les difficultés pour élever ses propres enfants au ministère de l’Intérieur.
Jordan Bardella évoque son envie d’être policier, à 15 ans, son stage de 3e au commissariat de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), où il résidait alors, et sa découverte du FN, à la faveur d’un devoir scolaire. Il est atrocement maniaque, même sa mère, vue de dos, et Marine Le Pen en conviennent.
Sandrine Rousseau, de son côté, raconte une enfance empêchée, pour des raisons médicales terribles, et la façon dont à 10 ans elle a tenu tête aux médecins : elle vit mieux après, et cela dessine la femme qu’elle est aujourd’hui. On la voit, généreuse, préparer des repas pour de grandes tablées.
Fabien Roussel père protecteur
Fabien Roussel, dans la même lignée, émeut lorsqu’il parle de son parcours de papa solo, avec ses jumeaux, puis avec le petit troisième, Émile, en garde alternée, avant sa rencontre avec sa compagne actuelle, Dorothée. Ses enfants, mais aussi son père, Daniel, et Michelle Demessine, pour qui il a travaillé pendant le gouvernement de gauche plurielle en 1997, complètent son propos. Surtout, sa fille, Nina, atteinte d’un cancer à l’âge de 8 ans, déchire le cœur lorsqu’elle raconte « la bulle » que son père a construite, seul, pour la protéger de l’angoisse.
Et la politique dans tout cela ? Elle affleure. Elle entre presque par effraction chez ceux de droite et d’extrême droite. Elle est beaucoup plus assumée chez Sandrine Rousseau et Fabien Roussel. Du bout des lèvres, Darmanin reconnaît ainsi s’être trompé en votant contre le mariage pour tous, en 2013. Bardella raconte son ascension fulgurante au sein du RN, sous le haut patronage de Marine Le Pen. Concède qu’il sacrifie trop de son temps au parti des Le Pen, dents longues obligent ?
À gauche, les convictions sont ancrées. La conscience écologique de Sandrine Rousseau, qui a grandi près de la mer, s’est éveillée très tôt, racontent son père et son frère. Idem pour le féminisme. Alors qu’elle est devenue présidente d’université, sa conscience sociale la pousse à des mesures d’urgence, quasi de survie, pour les étudiants. Sensible au sort des exilés, elle accueille chez elle l’un d’entre eux, jusqu’à ce qu’il soit doté de papiers et d’un travail.
Des portraits bien lisses
Idem pour Fabien Roussel, dont le sens du bien commun affleure en permanence, qu’il se rende à un rendez-vous au café du coin, parle de maroilles ou de reconstruire « des jours heureux », auxquels il refuse de renoncer. Il explique, comme journaliste reporter d’images, avoir appris le « sens de la punchline », mais aussi, plus tard, au ministère, qu’« un bon discours se prononce en regardant les gens dans les yeux ».
Reste que ces portraits sont bien lisses, sans aspérités. On juge une femme ou un homme politique à ses actes, à ses réalisations, à son projet politique. Voir Darmanin raconter sa vie dans 23 mètres carrés et son amour des pompiers, des gendarmes et de la police, n’efface pas les violences policières.
Cette peopolisation risque surtout de donner un visage presque humain à ceux qui prêchent l’exclusion, le repli sur soi et l’autorité. Soit une façon d’entrer en empathie avec des personnages qui n’en ont aucune pour le reste de l’humanité.
Une ambition intime, Dimanche, M6, dimanche 1er juin à 21 h 10
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