Une menace invisible, mais bien réelle

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 1,3 million de décès dans le monde étaient directement liés à l’antibiorésistance en 2019. En France, plus de 5 500 morts chaque année sont imputables à des infections devenues résistantes à plusieurs classes d’antibiotiques, selon Santé publique France.

Le phénomène touche des infections courantes, notamment :

  • les cystites (infections urinaires), où certaines souches d’Escherichia coli résistent à la majorité des traitements oraux ;
  • les infections cutanées liées à des staphylocoques dorés multi-résistants ;
  • les infections pulmonaires, particulièrement chez les patients hospitalisés ou immunodéprimés.

L’unité RESINFIT du CHU de Limoges, spécialisée dans l’étude de l’antibiorésistance, alerte sur l’augmentation du nombre de cas pour lesquels aucune solution antibiotique simple n’est disponible. Des antibiotiques de “dernier recours”, plus toxiques ou plus coûteux, doivent alors être utilisés — quand ils existent.

Comment en est-on arrivé là ?

L’antibiorésistance n’est pas une surprise. Elle est la conséquence directe de décennies de surconsommation et de mauvais usage des antibiotiques, aussi bien en médecine humaine qu’en médecine vétérinaire.

En France, même si la consommation d’antibiotiques a baissé depuis 2010, elle reste parmi les plus élevées d’Europe. Des prescriptions inutiles pour des infections virales (rhumes, angines non bactériennes), des traitements mal suivis ou interrompus trop tôt, et une automédication encore présente ont contribué à renforcer la sélection des bactéries résistantes.

Le phénomène est aussi alimenté par l’usage massif d’antibiotiques dans l’élevage, parfois à titre préventif, ce qui favorise la dissémination de souches résistantes dans l’environnement et l’alimentation.

Ce que cela change pour chacun d’entre nous

Ce n’est plus une menace abstraite. Concrètement, l’antibiorésistance prolonge la durée des maladies, augmente le risque de complications et rend certaines interventions plus risquées. Une simple infection dentaire peut dégénérer, une césarienne peut s’accompagner d’une infection difficile à traiter, une hospitalisation pour fracture peut déboucher sur un épisode infectieux complexe.

Et plus le nombre de bactéries résistantes augmente, plus les options thérapeutiques se réduisent.

Exemples d’infections touchées par l’antibiorésistance (France, 2025)

Type d’infection
Bactérie résistante fréquente
Conséquence possible
Infection urinaire Escherichia coli résistante aux fluoroquinolones Échec des traitements standards, hospitalisation nécessaire Infection cutanée Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) Risque de complications locales ou généralisées Pneumonie communautaire Klebsiella pneumoniae productrice de carbapénémase Antibiothérapie complexe, séjour en soins intensifs Infection postopératoire Enterococcus faecium résistant à la vancomycine Allongement de la convalescence, risque de septicémie Infections digestives Salmonella multirésistante Allongement des symptômes, risque de transmission alimentaire

Les solutions existent, mais elles demandent un sursaut collectif

Face à l’antibiorésistance, plusieurs leviers sont à renforcer :

  • Limiter les prescriptions inutiles : en particulier pour les infections virales (rhume, angine virale) où les antibiotiques sont inefficaces.
  • Renforcer la prévention : par la vaccination, l’hygiène des mains, la lutte contre les infections nosocomiales.
  • Encadrer l’usage vétérinaire des antibiotiques, pour éviter la transmission de bactéries résistantes via l’alimentation.
  • Développer de nouvelles molécules, un domaine dans lequel l’innovation est aujourd’hui insuffisamment soutenue par les grands laboratoires pharmaceutiques.

Mais le rôle des citoyens est aussi central. Suivre scrupuleusement une prescription, ne jamais consommer d’antibiotiques sans ordonnance, et ne pas en conserver dans l’armoire à pharmacie sont des gestes simples, mais essentiels.

Un enjeu de santé publique mondial

L’antibiorésistance n’est pas seulement un défi médical : c’est une crise sanitaire en construction, comparable, à terme, aux grandes pandémies. Elle pourrait remettre en cause la sécurité de nombreux actes médicaux de routine et creuser les inégalités d’accès aux traitements.

Les scientifiques s’accordent : si rien ne change, le monde pourrait entrer dans une ère post-antibiotique, où des infections bénignes redeviendraient mortelles. C’est pourquoi l’alerte lancée aujourd’hui n’est pas un excès de prudence, mais un appel à agir, tant au niveau individuel que collectif. Car dans cette bataille silencieuse, chaque prise inutile d’antibiotique alimente l’ennemi invisible.