INSOLITE – Vous connaissez déjà le Louvre par cœur ? Pour découvrir la capitale avec originalité, une agence propose une lugubre visite guidée sur les traces des crimes et des meurtriers parisiens.

«Quoi ! Paris saigne encore !» s’indignait Victor Hugo dans son recueil de poèmes Les Châtiments, publié en 1853. Dans la capitale française, les siècles défilent autant que les crimes… jusqu’à devenir des attractions touristiques. Alors que l’exposition Serial Killer se termine dans quelques jours, il semblerait que le côté sombre de la Ville Lumière intrigue les visiteurs.

My Urban Experience, une agence de conférenciers spécialisée dans les circuits insolites, organise dans Paris depuis une dizaine d’années des parcours sur les traces des affaires judiciaires les plus sanglantes, du Moyen Âge à nos jours. À pied, l’objectif est de dévoiler un autre visage de la capitale, en se concentrant dans un même quartier. On a testé l’expérience.

«Nous allons parler d’exécutions»

Samedi, 17h30. Le point de rendez-vous est donné au cœur du Quartier Latin. Nous retrouvons un groupe d’une quinzaine de personnes, toutes générations confondues. «Bienvenue à tous, aujourd’hui nous allons parler d’exécutions, de tueurs en série et de torture», s’exclame joyeusement Marie-Laure, notre guide du jour, conférencière et historienne. Pas de quoi refroidir son public : bien au contraire. «On connaît déjà la ville, mais on a trouvé génial le thème de ce tour», confie Christine, 65 ans, venue des Yvelines avec des amis et téléspectatrice assidue de Faites entrer l’accusé.

À quelques mètres, George, 11 ans, ne tient plus en place. Cet après-midi, l’idée de cette promenade macabre le rend particulièrement heureux. «Il écoute en boucle le podcast Crime Story lors des trajets en voiture», justifie sa mère, Hélène. «Est-ce qu’il y aura des histoires sur Michel Fourniret ?» sonde le jeune garçon auprès de la guide. Cette dernière qui craignait qu’il ne soit trop jeune pour ces sujets est rassurée. Sans plus attendre, nous nous dirigeons vers la rue de l’Hirondelle, petite voie pavée où vécut Eugène-François Vidocq. Considéré comme le tout premier détective privé au monde, il y aurait résidé au XIXe siècle. «À cette époque, il était fortement déconseillé de sortir la nuit», débute notre guide avec un ton grave, tout droit sortie d’un roman d’Agatha Christie.

De Marcel Petiot à Guy Georges

Notre groupe de curieux des crimes parisiens, s’engageant dans la rue de l’Hirondelle.
Mélanie Tuyssuzian / Le Figaro

Après quelques explications, nous poursuivons jusqu’à l’adresse mythique du 36, quai des Orfèvres. Jusqu’en 2017, elle abritait le siège de la police judiciaire parisienne. Entre ces murs, les enquêteurs ont élucidé des affaires majeures, de la bande à Bonnot à Guy Georges, le célèbre tueur des années 1980. Marie-Laure nous en dit davantage sur Marcel Petiot, surnommé «Docteur Satan», arrêté en 1944. «Sous l’Occupation, il prétendait faire passer des personnes en zone libre, mais les tuait pour voler leurs biens. Les restes de 27 victimes ont été retrouvés chez lui dans une chaudière», narre notre accompagnatrice.

Elle enchaîne sur une question : comment a-t-il été exécuté après son procès ? «Avec une hache», tente, Georges. Malgré ses lunettes rondes lui donnant un air de premier de la classe et son entrain, le pré-ado se trompe. Il s’agit de la guillotine. La surprise est générale, la plupart des participants misaient sur d’autres sentences. Ici, on manie l’art d’aborder avec légèreté de graves sujets. Avant de continuer notre sombre itinéraire, Marie-Laure nous met au défi de trouver la fonction du «séchoir», présent dans chaque commissariat. Astucieux : cette sinistre énigme nous captive pour le reste de la visite.

Pour les fans d’histoire et de meurtres

Le long du chemin, la conférencière marque des pauses et illustre ses récits angoissants par des photos ou de vieux articles de journaux, qu’elle fait défiler sur une tablette. Nul besoin d’être un spécialiste de séries policières pour apprécier, Marie-Laure prend le temps d’expliquer le contexte de chaque affaire. C’est sur ce rythme que nous traversons les siècles et les arrondissements, jusqu’à notre prochaine halte : le parvis de Notre-Dame. «On peut apercevoir Saint-Denis sur la façade de la cathédrale. Le premier évêque de Paris fut décapité au IIIe siècle», observe l’historienne. Cela étonne Titouan, 25 ans et Parisien, venu avec une amie afin d’arpenter sa ville autrement. «On n’en apprend pas uniquement sur les faits divers, il y a aussi un côté historique, c’est intéressant», glisse-t-il.

Guide et historienne, Marie-Laure nous montre une ancienne photo, en abordant le thème de la guillotine.
Mélanie Tuyssuzian / Le Figaro

Parfois, la conférencière conseille aux plus jeunes de se boucher les oreilles. «Je m’adapte au public ; quand il y a des enfants, j’essaie de ne pas parler des affaires trop récentes pour ne pas les effrayer», assure-t-elle. Un couple de quadragénaires hausse les épaules. Pour Jérôme, «Ce n’est pas pire que les informations à la télévision». «On aurait pensé voir plus de lieux où se sont déroulés des crimes», soulève son épouse Émilie, un peu déçue. La majorité des sites sont des instances judiciaires. Il ne faut pas s’attendre à des appartements qui ont été le théâtre de meurtres… sauf peut-être pour notre adresse suivante, rue Chanoinesse.

Guillotine, cannibalisme… et photos souvenirs

Une affreuse légende entoure cette ruelle de l’île de la Cité à l’allure pourtant tranquille. «Ici, au XIVe siècle, un barbier et un pâtissier auraient tué des étudiants pour en faire des pâtés qu’ils distribuaient dans le quartier. Apparemment, ils étaient très appréciés, surtout par le roi Charles VI», déclare sans détour Marie-Laure. Frissons de dégoût dans l’assistance. Mais la curiosité est immense. D’après la légende, un rocher ayant servi de billot serait toujours présent à l’intérieur d’un garage, au bout de la rue. Certains prennent en photo sa devanture, avant de continuer la promenade, l’appétit un rien altéré. Plus loin, en empruntant le pont des Arts, une reprise de La Bohème, de Charles Aznavour, nous parvient dans un tourbillon de touristes. Nous voilà plus sereins.

La rue dans laquelle se serait déroulée la sordide affaire du pâtissier et du barbier assassins.
Mélanie Tuyssuzian / Le Figaro

Voilà déjà plus d’une heure que nous déambulons, notre dernière adresse sera l’Hôtel de Ville. Devant l’esplanade, nous discutons guillotine et écartèlement. «En 1300, c’est ici que se déroulaient les exécutions publiques», expose Marie-Laure, avant de nous conter des récits de torture. On se passera des illustrations. Le circuit se termine sur la révélation du rôle du fameux «séchoir». «C’est l’endroit où l’on dépose les pièces à convictions, pour faire sécher le sang avant de les mettre sous scellés», indique l’historienne. En chœur, notre petite assemblée laisse échapper un grand «ah» d’exclamation, de surprise… et de répulsion. «J’espère que vous ne ferez pas trop de cauchemars cette nuit», conclut notre guide.

Ce ne sera pas le cas de George, qui prend sa mère dans ses bras pour la remercier. «C’était trop bien, je veux devenir avocat», affirme-t-il désormais. Autant de mystères et d’histoires qui nous ont tenus en haleine durant la balade. Une chose est sûre : le parcours d’1h30 est passé vite, et l’on en ressort avec une multitude d’anecdotes historiques et glaçantes à raconter. Ainsi qu’une nouvelle aversion pour le pâté.

Le Paris du Crime , My Urban Experience. Circuits en groupe du lundi au dimanche, à partir de 17h30. Tarifs : 17 € (adulte) et 8,50 € (enfant). Visite en français, et en anglais (seulement dans le cadre de réservations en visites privées).

En vidéo – Pourquoi Paris perd-elle de plus en plus d’habitants tout en restant attractive pour les touristes ?