C’est une volte-face des États-Unis au sujet des cryptomonnaies… Et cela ne fait pas les affaires de l’Europe. Après deux ans de procédure judiciaire contre le géant des actifs numériques Binance, le gendarme américain des marchés financiers (la Securities and Exchanges Commission [SEC]) a annoncé jeudi l’abandon de sa procédure civile. Une décision salvatrice pour la première plateforme mondiale d’échanges de cryptoactifs, soupçonnée dans plusieurs pays d’avoir laissé des organisations criminelles faire transiter des fonds par sa plateforme.

D’autant que ce n’était pas le premier procès visant Binance aux États-Unis. En 2023, l’entreprise avait accepté de plaider coupable de violation des lois américaines contre le blanchiment et son emblématique patron, Changpeng Zhao avait même dû quitter l’entreprise précipitamment.

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Ce retournement de veste du gendarme de la Bourse américaine n’est pas juste centré sur Binance. Il s’agit d’un changement de vision globale du gouvernement américain sur les cryptoactifs.

Trump engage le tournant pro crypto

Le mandat du précédent président, Joe Biden, avait été marqué par la faillite de la plateforme FTX en novembre 2022, qui n’avait pas pu rembourser ses clients après des détournements de leur argent. Un scandale retentissant qui avait plongé le cours du bitcoin à des plus bas et jeté l’opprobre sur tout le secteur. Accusée de ne pas avoir protégé les consommateurs américains, la SEC – alors dirigée par Gary Gensler – avait lancé une vague d’enquêtes sur des plateformes qu’elle soupçonnait de mauvaises pratiques.

Une offensive qui a pris fin à l’arrivée de Donald Trump au pouvoir en janvier. Le président qui a, notamment, nommé à la tête du gendarme boursier un fervent défenseur de cette technologie : Paul Atkins. « Il comprend l’importance des cryptoactifs pour propulser notre économie à des niveaux jamais atteints », avait notamment justifié le président américain lors de sa nomination.

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De ce côté de l’Atlantique, le climat est tout autre. Pendant plusieurs années, l’Europe était vue comme une terre de stabilité pour les entreprises cryptos. Avec la mise en place de son statut de Prestataire de services sur actifs numériques (PSAN), la France était même vue comme pionnière en matière de régulation. Une terre promise pour les entreprises cherchant un cadre défini pour se développer face à un Far West américain devenu hostile.

MiCA, entre sécurité nécessaire et risque d’étouffement des cryptos

Mais en décembre dernier, juste avant le tournant pro crypto américain, l’Union européenne a mis en application son règlement Market in Crypto Asset (MiCA). Un cadre strict, étendu à l’échelle européenne, ayant pour but d’assurer la stabilité des entreprises cryptos et d’assurer la protection des consommateurs.

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Une initiative louable, sinon nécessaire, saluée par l’écosystème. Mais l’arrivée du règlement, obligeant les entreprises cryptos à obtenir le permis Prestataire de services de cryptoactifs (PSCA) a aussi soulevé son lot de craintes. Alors que la centaine de sociétés françaises enregistrée PSAN a jusqu’au 30 juin 2026 pour se faire accréditer – avant de ne plus avoir le droit d’exercer en Europe -, les messages d’inquiétudes se sont progressivement multipliés. Avec une préoccupation majeure : des entreprises vont mourir à cause de la réglementation.

Et pour cause, obtenir son permis coûte cher. Les experts interrogés par La Tribune parlent de plusieurs centaines de milliers d’euros par entreprise. Un coût inatteignable pour de nombreuses petites entreprises. L’Autorité des marchés financiers a elle-même admis mercredi que « les entreprises n’auront pas toutes leur agrément ».

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L’ogre américain menace les petites entreprises européennes

Les deux approches antagonistes des États-Unis et de l’Europe inquiètent. Et pour cause, face au risque de se voir interdire leur activité sur le Vieux Continent, certaines entreprises européennes envisagent de se délocaliser dans des pays à la législation plus flexible. Quitte même à continuer leur activité illégalement auprès de leurs clients européens. Un risque d’émigration qui pourrait bénéficier aux États-Unis en quête d’entreprises pour faire grossir leur écosystème national.

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Le darwinisme réglementaire que l’Europe met en place pourrait aussi avoir une autre conséquence : laisser leur territoire aux mains des Américains.

Si les entreprises américaines géantes comme Coinbase, Kraken, Circle menacent de racheter les petites sociétés européennes n’ayant pas la ressource de se conformer à MiCA, le risque vient aussi de la finance traditionnelle. Les États-Unis alimentent, aujourd’hui, 36 % des start-up cryptos du Vieux Continent. Et cette dépendance au pays de Donald Trump se voit d’autant plus sur les importantes levées de fonds. Les États-Unis représentent 55 % des levées supérieures à 100 millions d’euros en Europe, suivis de près par l’Asie (24 %) et enfin… Par l’Europe (11 %).

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Un schéma qui risque, à terme, de pousser les sociétés européennes à s’expatrier aux États-Unis, d’autant plus si la réglementation devient beaucoup plus favorable qu’en Europe.