Une progression continue depuis une décennie

En 2023, le taux de mortalité infantile en France atteignait 3,9 décès pour 1 000 naissances vivantes, contre 3,5 en 2010. Cela représente environ 2 400 bébés décédés avant leur premier anniversaire en une seule année. Par comparaison, ce taux est de 2,6 en Espagne, 2,5 en Allemagne et 2,1 en Suède.

La France se classe ainsi parmi les derniers pays d’Europe de l’Ouest, une position qu’elle occupait déjà en 2021 mais qui se confirme et s’aggrave. L’étude de l’INED pointe une hausse significative des décès néonatals précoces (survenant dans les 7 premiers jours), souvent liés à des complications lors de l’accouchement ou à une prise en charge médicale insuffisante.

Des facteurs multiples, mais un constat partagé

Plusieurs causes se combinent pour expliquer cette dégradation :

  • Le sous-investissement chronique dans les maternités publiques, avec des fermetures de services, des sous-effectifs, et des accouchements dans des conditions parfois tendues.
  • La montée de la précarité maternelle, notamment chez les femmes jeunes, migrantes ou isolées, qui ont moins accès à un suivi régulier pendant la grossesse.
  • Un système de soins inégal selon les territoires, avec une désertification médicale croissante dans les zones rurales ou certaines banlieues.
  • Le vieillissement de l’âge moyen des mères, qui augmente mécaniquement certains risques obstétricaux.

L’INED évoque également un défaut de continuité dans la prise en charge postnatale, avec des sorties de maternité parfois précoces et un suivi insuffisant les premières semaines, période pourtant cruciale pour la détection des troubles néonataux.

Des disparités géographiques et sociales marquées

Tous les nouveau-nés ne sont pas exposés au même risque. L’étude montre que les départements les plus pauvres affichent un taux de mortalité infantile supérieur de 30 à 50 % à la moyenne nationale. La Seine-Saint-Denis, le Nord et la Guyane figurent parmi les plus touchés.

De même, les enfants nés de mères immigrées, en situation précaire ou sans couverture médicale complète, sont plus à risque, notamment faute d’un suivi prénatal adapté. Ces inégalités ne sont pas nouvelles, mais elles s’accentuent avec la dégradation des services publics de proximité.

Comparaison des taux de mortalité infantile en Europe (2023 – données Eurostat et INED)

Pays
Taux de mortalité infantile (pour 1 000 naissances vivantes)
Tendance depuis 2010
Suède 2,1 Stable Allemagne 2,5 En légère baisse Espagne 2,6 Stable Italie 2,8 En légère baisse Belgique 3,1 Stable France 3,9 En hausse continue Hongrie 4,3 En baisse Roumanie 5,6 En forte baisse depuis 2010

Une alerte que les professionnels de santé répètent depuis des années

Les sages-femmes, obstétriciens, puériculteurs et pédiatres tirent la sonnette d’alarme depuis longtemps. Ils dénoncent notamment :

  • Le manque de lits en maternité et néonatalogie.
  • L’épuisement du personnel soignant, confronté à des rythmes incompatibles avec un suivi individualisé.
  • La précarisation des parcours de soins dans les premières semaines de vie.

La situation est d’autant plus paradoxale que la France dispose encore de solides structures de santé publique, mais leur maillage se détériore : fermetures de maternités de proximité, pénurie de médecins généralistes, accès inégal aux spécialistes.

Vers une réforme de la périnatalité ?

Le gouvernement a annoncé à l’automne 2024 une mission d’évaluation du système de périnatalité, confiée à la Haute Autorité de santé (HAS). Parmi les pistes évoquées : renforcer les moyens humains, faciliter le suivi des grossesses à risque, et améliorer l’accueil postnatal des familles en situation de fragilité.

Mais aucune mesure concrète n’a encore été généralisée, et les professionnels de terrain s’impatientent. Pour eux, chaque mois compte, et chaque point de taux en plus correspond à des centaines de vies perdues.

Derrière les chiffres, un enjeu de société

La mortalité infantile n’est pas qu’un indicateur médical. Elle reflète l’état de la société, la qualité de ses services publics, et sa capacité à protéger les plus vulnérables dès le début de la vie. Que la France recule sur ce terrain devrait être un signal d’alerte majeur, bien au-delà du seul domaine de la santé.

Préserver la vie des nouveau-nés, c’est d’abord investir dans la dignité, l’égalité et la prévention. Et aujourd’hui, selon les experts, la France n’en prend pas le chemin.