Par
Emilie Salabelle
Publié le
30 mai 2025 à 18h12
Ballet symbolique pour l’Opéra de Paris puisqu’il a inauguré la scène du palais Garnier peu après son ouverture en 1876, Sylvia est de retour sur les lieux de sa création depuis le 8 mai 2025. Après quatre précédentes versions, dont la dernière, une réécriture signée John Neumeier, remonte à 1997 (dansée pour la dernière fois en 2005 par la compagnie), c’est l’ancien danseur étoile Manuel Legris qui est aujourd’hui à la chorégraphie. Ex-directeur du ballet de Viennes pour qui il avait monté cette production ambitieuse en trois actes, il a voulu faire briller, dans cette histoire mythologique mise en musique par Léo Delibes, la danse classique française. Cet événement très attendu par les balletomanes laisse un avis mitigé sur l’œuvre, qui peine à se détacher d’une intrigue complexe et d’une mise en scène pompeuse et désuète. Mais le spectacle a le mérite de proposer pléthore de personnages principaux et rôles secondaires pour faire briller les talents de la compagnie, y compris les plus jeunes.
Une intrigue alambiquée
Il faut dire que le livret ne simplifie pas la tâche. Pas moins de six personnages principaux se partagent l’affiche. L’histoire, un mythe pastoral toujours teinté d’un orientalisme post-romantique, s’emmêle dans des successions d’intrigues.
Diane, déesse de la chasse, garde sous son aile, et sa surveillance, une armée de fidèles, dont la nymphe Sylvia, farouche archère qui a juré de respecter les lois de chasteté imposées par sa protectrice. C’est sans compter sur le dieu Éros, qui va la pousser dans les bras du berger Amintas, déjà amoureux d’elle. Seulement voilà : un autre prétendant entre en jeu, le chasseur noir Orion, qui enlève la nymphe et l’enferme dans sa grotte. Celle-ci ruse, et, usant de ses charmes, parvient à enivrer ses geôliers, s’enfuit grâce à Éros et retrouve son berger. D’abord furieuse de voir Sylvia lui échapper, Diane est finalement rappelée à l’ordre par le dieu de l’amour, qui lui rappelle sa propre tendresse pour Endymion, jeune homme qu’elle a plongé dans un sommeil éternel pour pouvoir le contempler à sa guise. Ouf, voici pour l’intrigue.
Fidèle à cette histoire, le décor n’est pas léger et l’on sourit parfois de sa démesure, à la vue de l’autel pivotant dédié à Éros, d’un char-Pégase flamboyant de tout son or, ou d’une énorme amphore apportée sur scène lors des fêtes bacchanales finales.
La danse desservie par un héritage encombrant ?
La chorégraphie, sans être ratée, ne laisse pas en mémoire beaucoup de moments saillants. On a la sensation que Manuel Legris a cherché à respecter l’esprit d’origine de l’œuvre plutôt qu’à insuffler une partition plus moderne. Les situations et les personnages sont si stéréotypés que l’ensemble paraît figé.
On se prend à faire des parallèles avec d’autres grands ballets du XIXe siècle, dont Sylvia semble une pâle réminiscence : les danses villageoises qui rappellent les vendangeurs de Giselle, et surtout, les intraitables chasseresses, menées par Diane, qui font écho aux Willis et à la reine Myrta. Ou encore, l’acte II, après l’enlèvement de Sylvia, qui fait écho à une intrigue du même genre dans Raymonda. Dans cet univers où se mêlent nymphes, faunes, satyres et autres créatures légendaires, la danse se divise régulièrement en nombreux sous-ensembles sur scène, ce qui brouille parfois la vision générale.
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Restent des variations individuelles intéressantes, qui demandent une solide technique, des pas de deux agréables, et quelques autres temps forts : on retient par exemple l’entrée conquérante des chasseresses, leur course fière, l’arc à la main, portée par la musique de Léo Delibes, où l’on retrouve quelque chose de la célèbre Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner, puis l’entrée en scène de la nymphe.
Des interprètes en forme
Lors de la soirée du mardi 27 mai, Roxane Stojanov, nommée récemment étoile, campe une Sylvia réfléchie, sûre d’elle. S’il manque un peu de lâcher-prise dans le premier acte, le personnage prend en épaisseur au fil de la soirée, notamment dans le deuxième acte, et brille dans la variation « Pizzicato » du dernier acte, à la fois délicate et bien envoyée, le bas de jambe ciselé et les ports de bras altiers. À ses côtés, Thomas Docquir propose un Aminta intéressant. Tout en légèreté et en finesse, avec des sauts précis à la réception soignée, un haut du corps fluide, il incarne facilement ce jeune berger modeste, soumis aux tempêtes divines qu’il ne peut maîtriser.
Bianca Scudamore impose une autorité froide à sa Diane. Le prologue, où elle laisse brièvement son amour pour Endymion s’exprimer, est un beau moment de danse. Parmi les seconds rôles, impossible de rester indifférent au faune magnétique de Shale Wagman, talent brut que l’on a hâte de voir dans des rôles plus conséquents. Naïade à la technique éblouissante, Clara Mousseigne aussi emporte l’adhésion.
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