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« Les données montrent que les enfants ont plus de capacités à se réguler, mais la société trouve qu’ils en ont moins. Ce décalage montre que notre société leur en demande plus qu’avant », explique Grégoire Borst.
FAMILLES – Les enfants ont-ils encore une place dans les espaces collectifs ? Après que la Haute-commissaire à l’enfance Sarah el Hairy a pris position contre le développement d’espace « no kids », ces endroits où les enfants ne seraient pas les bienvenus, et alors que le débat fait rage sur les réseaux sociaux, un sondage semble indiquer de quel côté penche le cœur des Français.
Réalisée par l’institut Odoxa pour Lou média l’enquête dont les résultats ont été récoltés auprès d’un échantillon représentatif de la population adulte française est claire : 54 % des interrogés se disent favorables au développement de lieux réservés aux adultes, comme certains restaurants, hôtels ou compartiments de train.
Une position qui semble corrélée aux autres résultats de l’enquête, selon lesquels 75 % des Français estiment que « les enfants sont moins bien élevés qu’avant », 83 % des répondants pensent que les « méthodes d’éducation moderne rendent les enfants plus capricieux » ou « plus difficiles à gérer », et 84 % d’entre eux considèrent que « les parents laissent trop souvent leurs enfants perturber la tranquillité d’autrui ». Que faut-il comprendre de ces chiffres ? Le HuffPost a posé la question à Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation.
Quel sens derrière le mot « éducation »
Face à ces chiffres, l’universitaire appelle d’abord à une certaine prudence. Quand 75 % des interrogés estiment que les enfants sont « moins bien élevés », quelle est leur définition de l’éducation ? « On peut estimer que l’objectif de l’éducation, c’est d’apprendre à “bien se comporter”, c’est-à-dire de ne pas faire de bruit dans l’espace public, ne pas déranger les adultes… Mais ce n’est pas le seul but de l’éducation. C’est aussi permettre à l’enfant de s’épanouir, de réguler son comportement tout en comprenant qu’à différents âges, on n’a pas les mêmes capacités à le faire, de devenir un adulte qui peut exercer un libre arbitre… », souligne l’expert, également directeur du Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant (CNRS).
D’autant que les questions posées révèlent la perception des interrogés, qui n’a pas nécessairement de lien avec les faits. « Il faut comparer ça à des données réelles. Est-ce que, réellement, les enfants sont plus capricieux qu’avant, ont plus de mal à différer leur plaisir immédiat ? Ce n’est pas du tout ce que disent les études en psychologie du développement », souligne Grégoire Borst, qui cite le test du marshmallow, dans lequel on mesure la capacité des enfants à refuser une gratification immédiate : on leur donne le choix entre avoir un marshmallow tout de suite, ou deux marshmallows plus tard.
Un ressenti très différent des faits
Cette étude, réalisée pour la première fois en 1972, a été réalisée une nouvelle fois 50 ans plus tard. « Les résultats montrent qu’aujourd’hui, les enfants ont une meilleure capacité à différer leur plaisir immédiat qu’il y a 50 ans. Mais si vous interrogez leurs parents, en leur demandant s’ils y arrivent plus ou moins bien que les enfants des années 70, ils pensent en grande majorité que leurs enfants y arrivent moins bien », appuie le chercheur, avant d’expliciter. « Les données montrent que les enfants ont plus de capacités à se réguler, mais la société trouve qu’ils en ont moins. Ce décalage montre que notre société leur en demande plus qu’avant. »
De même, les modèles de parentalité ne sont pas détaillés. Or, à quoi font référence les « méthodes d’éducation modernes », dont les sondés estiment à 79 % qu’elles rendent les enfants « plus insupportables » et à 77 % « plus égoïstes/autocentrés » ?
« Pour apprendre à être un adulte capable vivre en société, un enfant doit être confronté à des environnements où il est avec des adultes. » Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement
Elles peuvent correspondre à deux formes d’éducation qui s’opposent dans l’imaginaire collectif : une « parentalité stricte », que les Américains appellent « parentalité autoritaire » et une « parentalité permissive », qui correspondrait aux idées reçues sur l’éducation positive. Mais, selon le chercheur, la parentalité autoritaire n’est pas un gage d’une meilleure régulation des émotions des enfants – au contraire. « Dans la littérature, on a un certain nombre de données qui montre que ce fonctionnement a certains effets négatifs sur l’enfant, et qu’ils tendent à être agressifs avec les autres enfants », détaille-t-il.
Cette propension à penser que « c’était mieux avant » explique probablement que 76 % des Français se déclarent plus agacés que compréhensifs face à des enfants agités dans des espaces privés ou publics – y compris les parents qui se déclarent « pas du tout stricts ».
Mais par définition, rappelle Grégoire Borst, « un enfant, pour apprendre à être un adulte qui sera capable de réguler ses comportements de manière à vivre en société, doit être confronté à des environnements où il est avec des adultes. » Et le chercheur de se demander : « Comment apprendre à bien se comporter si on les met à l’écart ? »