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8 avril 2025 à 17h00
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Bluesky
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Magistrat à la cour d’appel de Paris, Matthieu Bourrette met en avant les nécessités de l’exécution provisoire en matière pénale et le fait que, si la loi doit changer, il revient aux parlementaires de le décider.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
« Donnez-moi six lignes de la main du plus honnête des hommes, et je trouverai de quoi le faire pendre », aurait dit Richelieu.
Il aura suffi de deux mots, « exécution provisoire », dans les réquisitions du parquet au procès dit du financement des assistants parlementaires du RN, pour susciter l’ire d’une partie de la classe politique et médiatique contre les procureurs financiers, puis contre les juges du fond qui, dans leur décision du 31 mars 2025, viennent d’ordonner l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité prononcée contre plusieurs prévenus.
Cet embrasement du débat public, qui souligne la difficile confrontation entre pouvoir politique et autorité judiciaire, est aussi l’expression d’une certaine confusion entre les rôles joués par ces deux institutions.
Si dans l’analyse et l’application des cas individuels, les juges ont seuls la responsabilité de dire le droit, dans l’élaboration d’un texte général et impersonnel, c’est bien le législateur qui a seul la parole.
A ce titre, s’agissant du mécanisme ancien et aujourd’hui décrié de l’exécution provisoire des sanctions pénales, la balle est bien dans le camp politique et trois voies lui sont ouvertes sans aucunement attenter à l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Le Parlement pourrait en premier lieu décider de supprimer en tout ou partie la liberté offerte aux juges de prononcer l’exécution provisoire d’une sanction pénale : exit ainsi la possibilité d’interdire de conduire, malgré un appel, à un chauffard alcoolique, impossible d’empêcher dès la sortie de l’audience le conjoint violent et dangereux de reprendre contact avec la victime en cas d’appel, finie la prohibition infligée à un mineur-guetteur inféodé à un trafiquant de stupéfiants de retourner immédiatement dans le quartier où il commettait ses forfaits en cas de recours.
Le législateur devra avoir à l’esprit, comme l’a souvent rappelé la Cour de Cassation, et tout récemment le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 mars 2025, que l’exécution provisoire en matière pénale est utilisée pour assurer l’efficacité d’une peine, sauvegarder l’ordre public et éviter la récidive.
Interdire l’exécution provisoire reviendrait à priver la justice, donc la société, d’une arme pertinente dans la lutte contre de nombreuses formes de délinquance.
En second lieu, le législateur pourrait s’inspirer de ce qu’il a lui-même mis en place en matière civile où, dans de très nombreux domaines, les décisions rendues s’exécutent immédiatement par principe, malgré l’appel.
Mais, dans le domaine civil, tout appelant peut demander à la cour d’appel la suspension de l’exécution provisoire de la décision qu’il conteste, à condition de démontrer d’une part l’existence de conséquences manifestement excessives de l’exécution provisoire de la mesure ; et d’autre part la réalité d’un moyen sérieux à l’appui de son appel.
Un dispositif similaire n’existe pas en matière pénale, ce qui peut surprendre, même si, à la différence de la voie civile, il n’existe pas d’exécution provisoire automatique, la mesure devant être expressément prononcée par le juge répressif.
En cas de réforme législative, une personne condamnée à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire pourrait faire valoir qu’à quelques mois d’une élection à laquelle elle a déjà concouru, une telle mesure aurait des conséquences disproportionnées pour elle et le fonctionnement de la démocratie, outre l’obligation qui lui serait faite d’expliciter les moyens de fond sérieux à l’appui de son appel.
Un tel dispositif, qui s’appliquerait à toute peine assortie de l’exécution provisoire, devrait donner lieu à un débat contradictoire sur le sujet devant le juge d’appel, et la décision rendue devrait être insusceptible de recours comme c’est le cas en matière civile.
Tout nouveau texte qui serait voté en ce sens pourrait s’appliquer à toutes les procédures en cours non définitives.
En troisième lieu, le débat suscité par les réquisitions du parquet et la décision du 31 mars 2025 devrait conduire à s’intéresser aux délais de jugement en appel, car si le système pénal était en capacité d’évoquer en appel les affaires jugées en première instance dans un délai de quelques mois, il n’y aurait aucun débat sur les effets d’une éventuelle peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire infligée à une ancienne et peut-être future candidate à la magistrature suprême, toujours présumée innocente, à plus de deux ans d’une élection présidentielle.
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Malheureusement, si les moyens de la justice ont augmenté au cours de ces dernières années, les délais de jugement en appel en matière pénale demeurent une des faiblesses trop souvent oubliées d’un système judiciaire paupérisé.
Il suffit pour s’en convaincre de se référer au rapport d’évaluation 2024 de la Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe, diffusé tous les deux ans depuis vingt ans, publié en octobre 2024, et qui analyse nombre de données 2022 des systèmes judiciaires de 44 Etats européens.
S’agissant de la France, entre 2012 et 2022, le délai moyen théorique de traitement des dossiers pénaux en appel est passé de 219 jours à 366 jours, en hausse constante depuis dix ans (sauf entre 2020 et 2022, où l’on était à 399 jours en 2020, mais avec l’impact Covid), bien loin de la moyenne de 110 jours sur le plan européen, et bien loin de la situation française antérieure au Covid (310 jours en 2018).
Répondre budgétairement à la question du temps judiciaire, et notamment devant les juridictions d’appel, permettrait de réduire des délais bien trop longs d’attente des procès en deuxième instance, et de réduire d’autant le système de l’exécution provisoire qui est aussi, paradoxalement, le symptôme d’une justice pénale percluse de sa lenteur.
On ne peut que se féliciter que les décideurs publics s’intéressent à la justice pénale et à l’effectivité du droit d’appel au regard de la question de l’exécution provisoire d’une peine, même si bien souvent ils n’abordent ces problèmes que lorsqu’ils y sont eux-mêmes confrontés.
L’objet d’un procès pénal est de trancher le sujet qui lui est posé, à savoir celui de la culpabilité ou non culpabilité de celles et ceux qui ont à répondre des faits qui leur sont reprochés, et non de considérer les prévenus comme des opposants politiques qui devraient être combattus ou empêchés.
Mais si un procès peut également permettre de faire évoluer une législation considérée par certains comme imparfaite, et d’allouer à l’institution judiciaire de nouveaux moyens pour mieux exercer sa mission, alors le législateur pourra dire : « Donnez-moi deux lignes du plus honnête des représentants de la justice et je me charge de la défendre. »