Un phénomène massif mais mal reconnu
La période périnatale — qui s’étend du début de la grossesse jusqu’aux premières semaines suivant l’accouchement — est une zone de fragilité intense pour la santé psychique des femmes. Or, en France, aucun dépistage systématique de la dépression post-partum n’est organisé, contrairement à d’autres pays comme le Royaume-Uni ou l’Australie.
En 2022, la Haute Autorité de santé (HAS) avait bien publié des recommandations, appelant à mieux repérer les signes de détresse psychologique. Mais sur le terrain, très peu de consultations intègrent une évaluation mentale, faute de formation des professionnels, de temps, ou de protocoles clairs. Résultat : des troubles passent inaperçus, ou sont banalisés comme un simple “baby blues” passager.
Pourtant, les symptômes peuvent être sévères : idées noires, crises de panique, retrait affectif vis-à-vis du bébé, troubles du sommeil ou de l’appétit. Et leurs conséquences ne se limitent pas à la mère : elles impactent aussi le lien mère-enfant, le développement du nourrisson, et l’équilibre de toute la cellule familiale.
Les chiffres qui dérangent
Une enquête de Santé publique France, menée en 2023 sur plus de 12 000 mères, révèle que :
- 16 % des femmes déclarent des symptômes dépressifs marqués entre la 6e et la 8e semaine après l’accouchement.
- 40 % disent ne pas avoir reçu d’écoute suffisante ou de proposition de soutien psychologique.
- Les femmes les plus touchées sont souvent celles en situation de précarité, les mères isolées, ou celles ayant vécu un accouchement traumatisant.
En outre, les suicides en période post-partum sont la deuxième cause de mortalité maternelle en France, un fait encore trop peu médiatisé.
Principaux troubles psychiques en période post-partum (France, données Inserm/Santé publique France)
Prévalence estimée
Symptômes fréquents
Conséquences possibles
Des femmes qui souffrent dans le silence
Trop souvent, la parole des mères est étouffée par les injonctions à être heureuse. Une pression sociale, familiale et parfois médicale qui dissuade d’exprimer sa détresse. Dire qu’on ne va pas bien quand on vient de donner la vie reste tabou. La honte, la peur d’être jugée ou d’être considérée comme une “mauvaise mère” freinent la demande d’aide.
Or, plus le trouble est pris en charge tôt, plus la prise en charge est efficace. Des psychothérapies brèves, parfois accompagnées d’un traitement médicamenteux adapté, permettent un rétablissement rapide et durable. Mais encore faut-il que les femmes soient repérées, écoutées, et orientées.
Un appel à transformer le système
Des voix s’élèvent pour que la santé mentale périnatale devienne une priorité dans les parcours de maternité. Cela passe par :
- La création de consultations systématiques post-partum incluant une évaluation psychique.
- Une formation accrue des sages-femmes, médecins généralistes et pédiatres à la détection des troubles.
- Le développement de structures dédiées, comme les maisons des 1 000 premiers jours ou les unités mère-bébé hospitalières.
- Et surtout, un changement de regard sociétal, qui permette d’entendre, sans jugement, que la maternité peut aussi être une épreuve.
Une souffrance encore trop invisible
Accoucher ne signifie pas forcément renaître. Pour beaucoup de femmes, la maternité n’est pas immédiatement synonyme de bonheur, et cette réalité doit être entendue. Ignorer la santé mentale des jeunes mères, c’est laisser s’installer une détresse évitable, avec un coût humain et social considérable.
La prise de conscience progresse, mais les moyens ne suivent pas encore. Tant que les femmes continueront à sombrer en silence après avoir donné la vie, on ne pourra pas parler de véritable accompagnement global à la naissance. Car protéger la santé d’un enfant, c’est aussi — et surtout — prendre soin de sa mère.