Dans la commune de Gorges (Loire-Atlantique), le moulin qui borde la Sèvre Nantaise est le lieu d’une initiative unique en France. En plus d’être verte, l’électricité produite ici, au lieu-dit Angreviers est surtout l’œuvre d’un projet associatif. En autogestion et sans aucune logique de profit, assure fièrement Élodie Lancar.
L’idée est née dans le sillage de feu le mouvement politique Nantes en commun. Il y avait un besoin d’agir. Reprendre la main sur nos factures d’électricité, se réapproprier les moyens de production, à la source, s’enthousiasme la bénévole. Un petit groupe d’habitants crée une association en 2021 : Énergie de Nantes. Et tombe sur ce bâtiment assez imposant, installé en bordure de la Sèvre Nantaise, en aval de Clisson. Assez vite, les militants associatifs s’entendent avec le propriétaire du gîte d’Angreviers, qui cherchait à déléguer l’usage de la turbine qu’il avait remise en marche quelques années plus tôt.
L’énergie de la rivière est convertie en énergie électrique, qui peut couvrir les besoins de 40 à 60 foyers, poursuit Élodie Lancar. Le système est implanté au premier niveau de l’imposant bâtiment.
« Moulinistes » bénévoles
Énergie de Nantes n’a aucun salarié, mais turbine grâce à 15 membres actifs et sa centaine de bénévoles qui donnent ponctuellement des coups de main. Notre équipe de moulinistes est mobilisée, jusqu’à deux fois par semaine en automne, pour nettoyer les grilles qui permet de filtrer l’eau entrant dans la turbine, explique Élodie Lancar. Sitôt les grilles nettoyées, le débit s’accélère et les kW produits remontent en flèche.
L’association n’est pas seulement productrice d’énergie, elle a également obtenu un agrément ministériel pour être fournisseur. Elle a signé son premier contrat il y a un an et développé sa production, en s’associant avec le parc éolien de Zéphyr énergies, au nord du département.
Le système fonctionne ainsi : Énergie de Nantes injecte dans le réseau l’équivalent de ce qui est consommé par ses souscripteurs. Concrètement, l’électricité d’Angreviers est consommée par le voisinage. Les souscripteurs de tout le département reçoivent l’équivalent via Enedis.
Un tarif solidaire voté
Les tarifs sont décidés en assemblée en fonction de la santé financière de l’association et des tarifs en cours, explique Steffie Kerzulec, co-présidente de l’association. Nous ne sommes pas dépendants du marché et des contextes internationaux. L’association est quasiment autosuffisante : elle produit plus de 90 % de son énergie. Elle achète exceptionnellement de l’énergie sur les marchés, d’ordinaire lors de pics de consommation hivernaux. La dernière grille tarifaire votée est équivalente à celle d’EDF. Un tarif solidaire vient aussi d’être mis en place, pour les plus précaires. Il permettra d’alléger les factures de 10 à 15 %. Et pour faire baisser sa facture, on peut aussi faire valoir ses coups de main au moulin.
Steffie Kerzulec et Elodie Lancar, deux des bénévoles de l’association Energie de Nantes. Un cycle de permanence d’entretien est dressé pour assurer le bon fonctionnement de la turbine. Ici : le nettoyage des grilles. Elina Barbereau / Ouest-France.
La crainte principale des citoyens est celle de la faillite. Mais Steffie Kerzulec se veut rassurante… Si c’était le cas, il n’y aurait aucune coupure. Enedis continuerait à fournir de l’énergie et les contrats seraient repris par d’autres fournisseurs. De plus, les assemblées permettent régulièrement de faire le point sur la santé de l’association, et de décider des orientations à prendre.
Association ressource
La force motrice de la rivière, elle, ne s’arrête jamais. Énergie de Nantes fourmille de projet. L’un d’entre eux consiste à remplacer la turbine d’Angreviers par une roue à aube, plus performante. Et elle envisage de réhabiliter d’autres moulins. La Sèvre Nantaise en compte plus de 200. L’association, qui souhaite rester locale, se positionne aussi comme ressource. L’association a une agence, à Nantes, où les citoyens sont accueillis et renseignés. Afin que fleurissent partout des petites centrales hydrauliques, locales et citoyennes…
Selon la carte dite “de Cassini”, récemment mise en ligne sur le site de l’IGN, on estime que près de 80 000 moulins sont à l’abandon en France, note l’association. Certes, beaucoup d’entre eux sont en ruine, mais pas leurs seuils… Là, les bâtiments pourraient être reconstruits.
Renseignements : 2, rue de Coulmiers, 44 000 Nantes. Téléphone : 07 49 58 47 45. Visite du site d’Angreviers au mois de juin. www.energie-de-nantes.fr
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Deux moulins, une turbine
L’existence de deux moulins à céréales est attestée dès 1544, à Angreviers. En 1826, l’architecte Étienne Blon lance la reconversion de l’un d’entre eux, pour en faire un grand bâtiment destiné à une filature du lin et du coton. De 1892 à 1941, il devient une tannerie. Une roue en bois est d’abord installée, puis une turbine, en 1910, qui permet de produire de l’électricité pour l’usine.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’usine devient le lieu de refuge de près de 1 200 enfants de Nantes et Saint-Nazaire, menacés par les bombardements. À l’issue du conflit, le bâtiment devient un internat.
La turbine est utilisée jusque dans les années 1975, quand le réseau EDF est en panne. EN 2011, un privé rachète les lieux pour y faire un lieu d’accueil : La Filature. Il y découvre la turbine hydroélectrique, relance la production d’électricité en 2015, avant de passer la main en 2023 à Énergie de Nantes.
Quant au petit moulin, installé sur la berge gauche, il est lui propriété du Département depuis 2002. Et n’a pas de turbine. Pour l’instant…
Cet article est extrait de notre supplément En Quête de demain, paru mercredi 28 mai avec le quotidien Ouest-France. Sparknews / Ouest-France.
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