Et si la Suisse participait au programme de réarmement massif de l’Union européenne? Une collaboration formelle semble encore loin, mais le plan suscite de l’intérêt pour des questions économiques et sécuritaires. Sous la coupole fédérale en revanche, un tel rapprochement ne fait pas l’unanimité.
L’Union européenne se réarme. Ses vingt-sept Etats-membres viennent d’approuver la création d’un programme d’achats communs en matière de défense de 150 milliards d’euros. Il y a deux mois, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen annonçait un plan de réarmement estimé à 800 milliards d’euros.
Cet élan pourrait profiter à la Suisse, estime Pälvi Pulli, secrétaire d’État adjointe pour la politique de sécurité (SEPOS) au Département fédéral de la défense (DDPS). Selon elle, une coopération avec l’UE permettrait de garantir un approvisionnement en armes: « Depuis le début de la guerre en Ukraine, il y a beaucoup de commandes et moins de capacité de l’industrie européenne pour répondre à cette demande. La Suisse a intérêt à pouvoir faire partie des chaînes d’approvisionnement pour pouvoir exporter, mais aussi importer quand elle a besoin de matériel. »
Des achats en commun avec l’UE permettraient également d’obtenir du matériel à prix réduit sur le principe des économies d’échelle, ajoute la responsable.
Redynamiser l’industrie suisse
Il s’agirait aussi de redynamiser le secteur de l’armement suisse, en pleine difficulté. Les exportations d’armes suisses sont en baisse depuis plusieurs années: moins 27% en 2023, moins 5% l’an dernier.
Certains pays ne veulent plus travailler avec la Suisse, à l’instar des Pays-Bas et, surtout, de l’Allemagne, premier acheteur de matériel de guerre helvétique. En cause notamment: la politique restrictive de la Confédération en matière d’exportation, avec l’interdiction de la vente d’armes dans les pays impliqués dans des conflits.
Ce n’est pas seulement une question de places de travail et de compétitivité, mais aussi de sécurité
Pälvi Pulli, secrétaire d’État adjointe pour la politique de sécurité (SEPOS)
Le réarmement de l’Europe représente dès lors une opportunité économique, selon Pälvi Pulli: « Il y a des suppressions de places de travail en Suisse, alors que certaines entreprises ont recours au temps partiel. Il y a également des compagnies qui quittent la Suisse. L’enjeu pour nous est d’avoir un accès au marché pour l’industrie suisse. »
Elle précise: « Ce n’est pas seulement une question de places de travail et de compétitivité, mais aussi de sécurité, parce que nous ne voulons pas devenir entièrement dépendants de partenaires qui, eux, ont peut-être d’autres priorités en cas de conflit que la Suisse. »
Une coopération qui reste floue
Les contours d’une éventuelle coopération avec l’UE doivent encore être définis. L’Union européenne doit encore préciser son plan: « On attend des décisions finales prochainement », rapporte la secrétaire du SEPOS.
« Ce sera l’occasion pour la Suisse d’examiner quelles sont les conditions que l’Union européenne va définir et quels seraient les statuts de la Suisse comme Etat tiers. Ce processus politique pourra se faire une fois que nous aurons une clarté sur les conditions cadre pour l’éventuelle participation d’Etats tiers. »
Une coopération critiquée
Un soutien politique semble possible en Suisse. En mars, le Conseil national a adopté une déclaration pour une coopération avec l’Europe en matière de défense. Par ailleurs, une commission parlementaire a déposé récemment un texte pour charger le Conseil fédéral de se mettre à table avec ses voisins pour discuter d’un accord en matière de défense.
Sans surprise, l’idée déplait du côté de l’UDC, opposée à tout rapprochement avec l’UE. A gauche, le conseiller national socialiste Pierre-Alain Fridez (PS/JU), lui aussi est contre, mais pour d’autres raisons: « Cet armement doit d’abord profiter aux pays en première ligne, soit à la Pologne ou à l’Allemagne. La guerre est aux confins de l’Europe et, pour nous, elle ne représente que des menaces à distance. Il ne faut pas envisager un réarmement massif en lien avec une attaque à nos frontières. »
Une coopération « bienvenue »
Autre son de cloche côté européen: « L’Union européenne souhaite évidemment que le plus grand nombre possible de pays voisins se joignent à son effort de réarmement. La Suisse n’est certainement pas, dans le domaine industriel, un partenaire négligeable », réagit l’eurodéputé centriste français Bernard Guetta.
La Suisse qui attend donc que l’Union européenne précise son plan, notamment en ce qui concerne la participation de pays tiers.
Mathieu Henderson