Beaucoup ont admiré son talent de comédienne, inoubliable dans Un éléphant ça trompe énormément, Les Compères ou encore Une famille formidable. Celles et ceux qui suivent sa carrière de près savent aussi qu’Anny Duperey est du genre à enfiler plusieurs casquettes. Et avec passion, pas seulement pour assouvir une lubie passagère.
Actrice donc, mais aussi photographe et romancière, l’artiste âgée de 77 ans faisait d’autant plus office d’invitée très recommandable pour cette nouvelle édition du Festival du livre de Nice qu’elle a sorti Respire, c’est de l’iode! (et autres évocations libres) en avril dernier, aux éditions du Seuil.
En milieu d’après-midi, Anny Duperey était présente sur le stand Nice-Matin/Ici Azur pour prendre part à une discussion animée par Laurence Lucchesi, journaliste au service Magazine de notre journal, et Julien Trambouze, directeur des programmes de la radio régionale, en compagnie de lecteurs.
Puisque dans son livre, elle s’attarde avec un ton irrévérencieux sur les petites phrases ayant marqué son parcours, personnel ou artistique, l’opportunité était belle de s’aventurer sur de multiples terrains. Morceaux choisis.
« Prendre le large? Ce n’est pas pour moi! »
Les animateurs de la rencontre ont d’abord tenté de savoir ce que le thème de l’édition 2025 du Festival du livre de Nice, « Prendre le large », inspirait à Anny Duperey. « Ah ça, ce n’est pas pour moi. En tout cas physiquement, parce que je suis malade en mer! Pour moi, monter sur un bateau, c’est l’inverse de la liberté, je me sens coincée. »
D’où vient, alors, l’inspiration maritime du titre de son dernier livre? « Après la mort de mes parents, pour me réconforter, on m’emmenait sur le port de Dieppe. Il y avait de la vie, mais ça sentait le poisson pourri et le gasoil. Mais ma grand-mère n’en démordait pas: tous les dimanches, elle me donnait l’ordre de respirer l’iode, c’était censé être bon pour ma santé. Comme l’eau était glacée et qu’elle n’arrivait pas à marcher sur les galets, on n’allait pas se baigner. »
« Ma tante a été à l’affût de tous mes dons »
En compagnie de sa grand-mère, sa tante maternelle l’a élevée après la disparition accidentelle de ses parents, lorsqu’elle avait 8 ans et demi. Un chapitre est consacré à cette femme ayant fait naître chez la Normande une fibre artistique.
« Elle avait un esprit libre, elle a été sacrifiée. Elle aurait voulu être enseignante, mais dès sa sortie de l’école, à 11 ans, elle avait dû travailler au bistrot, pour que ses frères puissent continuer leurs études. Ma tante a été à l’affût de tous mes dons. Elle a vu que j’étais très douée en dessin, donc j’ai été inscrite aux cours du soir des Beaux-Arts, à 10 ans et demi. J’allais aussi aux cours de danse. Comme j’adorais lire, elle m’apportait tous les livres que je voulais. C’était une femme absolument merveilleuse. Elle m’a fait grandir comme un garçon de l’époque, dans une liberté absolument totale. Quand j’avais 14 ans, je flirtais comme une folle. À ce moment, ma tante m’avait dit une phrase qui a fait mon éducation sentimentale et sexuelle: ‘‘Tu t’apercevras plus tard que même pour faire l’amour, l’intelligence est primordiale’’… »
Cette étonnante Agnès Varda
La conversation a ensuite filé vers une autre époque, celle où Anny Duperey était voisine avec Agnès Varda, dans le 14e arrondissement de Paris. « Et ta vie, alors? », a demandé un jour la réalisatrice à la comédienne, à une terrasse de café. Celle-ci, qui venait de connaître un deuxième divorce, lui confie qu’elle n’imaginait pas se retrouver seule à plus de 60 ans.
« C’est épatant », lâcha alors la cinéaste, à la grande surprise de son interlocutrice. « Et je vais te dire pourquoi: toutes les femmes finissent seules. Soit ils crèvent, soit ils se tirent. Quand ça arrive très tard, c’est très dur. Toi, t’as le temps de prendre tes marques! »
Anny Duperey sur le stand Nice-Matin et Ici Azur ce vendredi après-midi. Photo marianne fallon.
Violences sexuelles dans le cinéma : «Je n’avais pas le ‘‘profil’’ de la victime»
Pour la deuxième partie de l’échange, les spectateurs qui y assistaient ont été invités à poser leurs propres questions à Anny Duperey. L’un d’entre eux a souhaité savoir si l’actrice avait subi des agressions de la part de personnalités du cinéma.
« Non. Une femme intelligente m’a dit quelque chose que je veux bien admettre, c’est que je n’avais pas le ‘‘profil’’ de la victime. Les prédateurs ont un flair terrible, ils sentent quand il y a une faille… »
Elle a ensuite évoqué un homme « à la très mauvaise réputation » avec lequel elle avait tourné : l’Allemand Klaus Kinski. « Pour une exposition, après sa mort, je voulais montrer un magnifique portrait de lui. Il me fallait l’accord des ayants droit, donc j’ai contacté sa fille, Nastassja. Elle m’a répondu que si son père était encore en vie, elle l’aurait fait jeter en prison. Elle m’a dit que son père l’avait violée, tout comme sa sœur. Et qu’il estimait que c’était la chose la plus formidable de sa vie… »
« Peut-être que je ne pouvais pas comprendre »
Lorsque Judith Godrèche avait expliqué avoir été sous emprise et victime de viols par les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon lorsqu’elle était mineure, Anny Duperey avait qualifié ces déclarations d’ « extrêmement exagérées ». Aujourd’hui, elle admet avoir manqué de discernement sur certains points : « Peut-être que je ne pouvais pas comprendre ce que ça faisait de se retrouver sous influence, c’est vrai ».