Au Théâtre de la Colline, Virginie Despentes invente une suite à Woke, qui était co-écrit par quatre auteurs l’an dernier à Lille. Aujourd’hui, elle s’attaque au hors-champ intime et théâtral d’un spectacle, porté par la voix de huit interprètes choisis par un metteur en scène qui souhaite monter « La maison de Bernarda Alba en mode queer. Choc des générations, revendication LGBTQI, lutte contre les clichés qui stigmatisent, le spectacle est avant tout une généreuse proposition portée par des artistes aux identités artistiques diverses qui explosent d’énergie.
Le théâtre, c’est comme du foot
©TeresaSuarez
« Romancero Queer » est inspiré de la révolte poétique et anti-patriarcale de l’Espagnol Frederico Garcia Lorca qui fait parler, dans sa dernière œuvre La Maison de Bernarda Alba, sept femmes cloitrées dans une maison isolée pour qui « naître femme est la pire des punitions ». C’est la pièce qu’a choisi de mettre en scène Michel, un metteur en scène blanc hétéro, sexagénaire, qui a engagé huit interprètes à la personnalité woke, non binaire, racisés ou homosexuels, pour en monter une adaptation « queer ». Et pour tenter de comprendre sa propre fille, non binaire. Pour l’instant, Michel, immobilisé par une méchante sciatique, est allongé sur deux fauteuils. Et les interprètes, surchauffés par l’attente et la frustration, se croisent dans la coulisse. Entre le plateau et le hors champs, un rideau découpé de lamelles argentées flotte, d’où surgissent des personnalités explosives. Il y a Wanda, une des anciennes maîtresses de Michel, la plus calme mais qui va révéler des secrets sulfureux, jouée par Mata Gabin, et Lou, Clara Ponsot, avocate ardente du metteur en scène, actrice définitive dont l’arrogance dramatique sera vite déconstruite par le comportement violent de Michel. Gaby, une quinquagénaire qui sort de prison, jouée par Sasha Andres et Vita, féline et spectaculaire, forte en gueule et en charisme, incarnée par l’artiste, chanteuse et danseuse drag Soa de Muse. Nina, cheveux noirs peroxydées et bagout d’enfer, raconte à chacun et chacune que sa copine l’a trompée, et c’est Mascare, artiste performeuse à l’énergie fantastique qui l’interprète.
Des personnages sur mesure pour des interprètes hors-normes
©TeresaSuarez
Et c’est bien le propos de ce spectacle, que Virginie Despentes invente, comme les costumes joyeux de Marie La Rocca, pour chacun de ses interprètes complices dont elle tisse un affectueux portrait. Soraya Garlenq, androgyne vedette qui mêle le hip hop à l’absurde, le jazz à la créativité d’un slam oriental, emporte tout sur son passage dans le personnage de Faïrouz, féline magicienne qui crie la révolte des femmes et des exploités. Sa prestation est magistrale de puissance et d’émotion, sa grâce totale. Max, joué par le rappeur Casey, et André, campé par le mannequin et acteur Amir Baylly, sont les deux protagonistes masculins, fragiles et esquintés, de cette parade féminine à la vitalité généreuse, à l’authenticité vibrante. Les thèmes récurrents de l’auteur, rage contre le capitalisme patriarcal, la propagande dominante qui exploite « comme un hélicoptère » les marginaux et les femmes, les transgenres et ceux qui échappent aux règles morales, y sont bien présents. Mais la forme cabaret, festive et légère de cette comédie de boulevard acide, qui multiplie les punchline et les formules caustiques, mêlant l’intime égo centré et la révolte politique, se laisse savourer librement sans bouder son plaisir de spectateur.
Helène Kuttner