Depuis un ponton du quai Séverine à Saint-Mandrier, on entend la musique « Born to be wild » (né pour être sauvage) du groupe de rock américain Steppenwolf, la bande originale du film Easy Rider. On s’attend à voir sortir de la cabine du voilier un fan de heavy metal, en blouson de motard. Raté.
Fleur de Tiaré dans les cheveux, paréo de plage coloré noué autour de la taille et voix douce, Moe tire plus de la vahiné que du biker. « J’étais en train de faire des toiles de bateau sur ma machine à coudre », sourit la Tahitienne de 37 ans. Bienvenue à bord du Dichal, un voilier Beneteau Océanis 390 (1).
Rêve d’ailleurs
Depuis quatre ans, Moe vit au port de Saint-Mandrier avec son mari Fabrice et leur fille âgée de 4 ans, Ina (étoile de mer en tahitien). « J’ai grandi dans un milieu marin, vu qu’à Tahiti on est entourés par la mer. Et j’ai beaucoup pratiqué le Hobie Cat, la planche à voile… Donc j’avais déjà l’esprit tourné vers la mer », rembobine la marinette. Arrivée en Métropole en 2019, la Polynésienne « atterrit dans le Jura » où elle rencontre Fabrice, qui vivait alors dans l’est de la France. « Je rentrais de Nouvelle-Calédonie et on cherchait tous les deux du travail. On s’est rencontrés à Pôle Emploi », raconte le quadragénaire. Loin de la mer donc, mais avec « les mêmes envies d’évasion ». Le couple décide alors d’acheter un voilier et de s’installer dans la rade.
« C’était déjà le rêve de mon père de faire le tour du monde en voilier, partage Fabrice. Donc j’ai toujours eu ça dans la tête depuis tout petit et ça a mûri avec les années. » Du rêve à la réalité, il y a une première étape: Saint-Mandrier. « On a eu la chance d’avoir un contrat annuel (2) avec le club de l’Amicale des plaisanciers Mandréens (APM) », remercie le propriétaire du bateau. « Au début on était au mouillage avec notre fille qui n’avait que trois mois. Donc ils nous voyaient faire des allers-retours avec l’annexe et on a obtenu une place au port », rembobine Moe.
Changement de vie
Mécanicien sur les engins de travaux publics, Fabrice a « dérivé sur le nautisme » quand il est parti en Nouvelle-Calédonie à 32 ans: « l’ambiance est plus sympa sur les pontons que dans les carrières. » Moe est aide à domicile au village. Et couturière à ses heures perdues. « Avant on avait une maison. Mais on se rend compte qu’on n’a pas besoin de tant de choses que cela. À bord on vit avec le strict nécessaire. » Un changement de vie radical.
Le bateau est équipé d’une cuisinière avec four intégré, douche, WC, d’un réservoir d’eau de 800 litres qui permet à la famille de « tenir un mois en faisant attention », et de trois cabines de couchage. « On a une liberté sur un bateau qu’on n’a pas dans une maison ou un appartement. C’est un camping-car sur l’eau. » « On peut partir quand on veut, et tout est déjà prêt à bord », complète Moe. D’ailleurs, la famille Bevand prendra bientôt le large. Destination: Tahiti.
« On a une bonne fourchette météo entre le 25 septembre et le 10 octobre », envisage Fabrice. Un long périple de cinq mois, du Cap Vert au canal de Panama, puis une traversée du Pacifique jusqu’en Polynésie française. Et une grande première aussi. « J’avais déjà navigué à Nouméa, raconte Fabrice. Mais le plus loin qu’on est allés ici, c’est Port-Cros et l’île du Levant. »
Un aller simple
Une aventure aussi pour leur fille Ina, qui a grandi sur le bateau et fera l’école autour du globe, avant de faire sa rentrée à Tahiti l’année prochaine. La famille vagabonde sera au mouillage dans la baie de Phaeton, la presqu’île de Tahiti. La navigatrice y possède des terres, où elle pourra s’adonner à sa passion pour le jardinage: « J’ai toujours eu les mains dans la terre donc j’avoue que ça me manque beaucoup. » De quoi mettre le pied à terre? « Tous les deux, on ne pourrait pas revivre dans une maison ou en appartement. Ou peut-être un bout de terre avec un fare (un bugalow typique de Polynésie) oui, mais sinon c’est trop cool de vivre sur un bateau. »
Fabrice a déjà un travail qui l’attend à Tahiti. Et Moe, aide à domicile et native de l’archipel, « n’aura pas de mal à trouver du travail ». « De toute façon on ne pourra pas revenir avec le bateau. Dans l’autre sens ce n’est pas la route des alizés; le tour du monde à l’envers, c’est plus compliqué… », explique le couple. De la presqu’île de Saint-Mandrier à celle de Tahiti, ce sera donc un aller simple… pour le paradis.
1. Le monocoque habitable mesure 11,70mètres de long par 3,90mètres de large. Pesant 6 tonnes il est équipé d’un génois, un spi asymétrique, une trinquette et une grand-voile de 35m².
2. La famille propriétaire du bateau paie 5.100 euros par an « eau et électricité compris » pour la place au port de Saint-Mandrier.