Né à Saint-Petersbourg en 1951 (dénommée Leningrad à l’époque), Nikolaï Patrouchev grandit dans une famille acquise à la cause soviétique. Son père, officier de la marine, n’est pas très présent. Mais, quand il l’est, il répète toujours les mêmes rengaines. Sur la grandeur de l’URSS, notamment. Membre du Parti communiste, il veut absolument voir son fils marcher dans ses pas. Ce que fait en partie le jeune Nikolaï puisqu’il décroche son diplôme à l’Institut de construction navale de Leningrad en 1974. Il y travaille comme ingénieur pendant les mois qui suivent.
Sa vie bascule en 1975. Le KGB le contacte. Le service de renseignements souhaite le recruter. Le jeune homme doit prendre une décision rapide. Il finit par accepter la proposition et est envoyé à Minsk, puis à Moscou pour y suivre des cours dans les différentes écoles dont dispose le redouté KGB. Une fois formé, il retourne dans sa ville natale et occupe le poste d’agent de sécurité du service de renseignements. C’est là que son chemin croise pour la première fois celui de Vladimir Poutine. Le courant passe directement entre les deux hommes qui exercent les mêmes fonctions. Mais Patrouchev est ambitieux. Et bien déterminé à gravir les échelons à la vitesse grand V. Pourtant, il va devoir se montrer patient. Il devient chef de l’unité qui lutte contre la contrebande et la corruption, et le reste pendant de longues années. Si sa carrière stagne, sa vie privée, elle, évolue avec la naissance de ses deux fils, Dmitry et Andrey.
Vladimir Poutine: « Voici mon bon camarade »
Les choses bougent à la chute de l’URSS. Patrouchev prend la tête du service de renseignements en république de Carélie. Il déménage ensuite à Moscou et devient chef adjoint du Département de l’organisation et de l’inspection du FSB, le nouveau nom donné au KGB. Dès 1998, tout s’accélère. Il fait officiellement son entrée au Kremlin en endossant successivement différentes casquettes. Il retrouve Vladimir Poutine, devenu un ami. A deux, ils veillent sur Boris Eltsine. Jusqu’à ce que ce dernier fasse de l’actuel président russe son Premier ministre. Le futur maître du Kremlin nomme Patrouchev directeur du FSB en 1999. « Voici mon bon camarade », aurait lancé Poutine au moment de présenter le nouveau chef des renseignements, dans des propos relayés par Politico. « Il fera tout pour que les services de sécurité deviennent encore plus puissants. »
Investi de ce nouveau rôle, le fidèle comparse de Vladimir Poutine, qui était déjà connu pour ses prises de position radicales, durcit encore le ton. « La Russie a besoin de pragmatiques coriaces, capables de faire face aux contradictions et menace émergentes », acte-t-il dans une interview à un quotidien russe, dès son entrée en fonction. Et une chose est sûre, lui est prêt à tout pour le président russe. Certains lui imputent même la responsabilité des attentats de 1999. Officiellement, les Tchéchènes ont commandité les attaques. En coulisses, il se murmure que le FSB était à la manœuvre. Son objectif ? Faire décoller la cote de popularité de Poutine à l’approche des élections. Malgré les soupçons, Patrouchev n’est jamais inquiété et continue à diriger le service de renseignements avec une poigne de fer jusqu’en 2008.
« Il faut dès maintenant se préparer à la fin du régime de Vladimir Poutine, tout va aller très vite »L’homme qui murmure à l’oreille du président
Il est alors placé à la tête du Conseil de sécurité de la Russie. L’organe, qui a un rôle avant tout consultatif, accueille les voix du pays les plus féroces. L’ami de celui qui est désormais Premier ministre y est à l’aise. Il y développe son esprit complotiste et sa haine de l’Occident. Lors de ses entretiens avec Poutine ou Medvedev, il ressasse constamment ses pensées les plus sombres à l’égard de ces pays voisins qu’il juge trop proches de l' »ennemi ». « Il prend des positions affirmées sur tous les sujets et est le seul à exercer une influence sur Poutine », confie la politologue Hélène Blanc à La Dépêche, en 2023. D’ailleurs, entre ses mains, le Conseil de sécurité acquiert une importance qu’on ne lui connaissait pas auparavant. Il devient le principal vecteur d’informations du Kremlin. C’est son secrétaire qui fait remonter les faits les plus importants au sommet de l’Etat.
Les deux amis partagent une certaine nostalgie de l’URSS. Ils évoquent fréquemment leurs ambitions expansionnistes. Mais attendent avant de les concrétiser. C’est en 2014 que Vladimir Poutine, réélu président en 2012, passe à l’acte et annexe la Crimée. Le maître du Kremlin est à la manœuvre, mais beaucoup estiment que c’est bien Patrouchev qui tire les ficelles. Il n’hésite d’ailleurs pas à agiter dans les médias la menace que représente cet Occident déviant et bien trop implanté dans des pays comme l’Ukraine. Mais son véritable ennemi reste les Etats-Unis, qu’il exècre. Il leur attribue d’ailleurs la plupart des maux qui touchent la Russie. Pour lui, le pays de l’Oncle Sam se sert de l’Occident face à une Russie, qui lui résiste inlassablement. Il voit son pays comme le dernier rempart face à une idéologie dangereuse qui a déjà contaminé une grande partie du continent européen.
« Quand je vois les proches conseillers de Vladimir Poutine, je crains sa disparition »Poutine « mal informé », le début des ennuis pour Patrouchev
Ces théories complotistes, il les utilise encore et encore auprès de Vladimir Poutine. « Il faut agir », lui lance-t-il à de maintes reprises. Ce que finit par faire le maître du Kremlin en février 2022 avec son invasion de grande ampleur en Ukraine. Mais ce qui devait être une guerre éclair se transforme en un conflit d’attrition. Et, très vite, les errements de la stratégie russe sont pointés du doigt. Alors, les choix du président russe sont mis en doute. Les observateurs sont nombreux à estimer que le chef d’Etat a très clairement été « mal informé ». Pas bon pour Patrouchev tout ça…
Mais, à aucun moment, il ne se justifie. Au contraire, dans la presse, il se fait encore plus dur à l’égard de l’Ukraine et de ses alliés occidentaux. Allant toujours plus loin, il devient le maître des fake news. En avril 2022, il affirme que les Ukrainiens et les Européens se livrent à un trafic d’orphelins et d’organes. Un mois plus tard, il dénonce les agissements de la Pologne… qui envahirait l’Ukraine. « Les soi-disant partenaires occidentaux du régime de Kiev utilisent la situation actuelle pour leurs propres intérêts égoïstes et ont de grands projets pour les terres ukrainiennes », présente-t-il sans vergogne.
La fin d’une ère
En 2024, le septuagénaire, décrit par l’expert Marc Galeotti comme « l’homme le plus dangereux de Moscou », est démis de ses fonctions à la faveur de Sergueï Choïgou, l’ancien ministre de la Défense. Patrouchev devient alors conseiller du président en matière de construction navale. Après 16 ans à la tête du Conseil de sécurité, l’ami de Poutine quitte son poste dans une atmosphère particulière. Il doit affronter non seulement les reproches sur les erreurs en Ukraine, mais également ceux en lien avec la mutinerie de Wagner et l’attentat à Moscou. Certains voient donc dans ce changement de fonction une forme de rétrogradation punitive. Mais pour Anne Godart, il n’en est rien: « Il est toujours dans l’équipe proche de Poutine. Il s’intéresse à la présence en mer de la Russie qui est un enjeu majeur pour assurer la puissance du pays. C’est un point absolument essentiel et donc il occupe encore un rôle important », nous détaille la spécialiste de la Russie de l’UMons. D’autant qu’il peut toujours se targuer de pouvoir compter sur l’oreille attentive du président. Et plus encore, sa confiance.
Parce que, malgré les errements, Vladimir Poutine conserve une haute estime de son ancien camarade du KGB. Il reste l’un de ses plus proches conseillers et l’une des rares personnes à avoir une réelle influence sur ses décisions. Rien de rassurant, vu les prises de positions toujours plus extrêmes du septuagénaire… En janvier dernier, il estimait probable que l’Ukraine « cesse purement et simplement d’exister » dans le courant de l’année.
Poutine a-t-il laissé entrevoir sa « peur la plus profonde » ces derniers jours ?
Quant aux rumeurs sur sa possible accession à la présidence du pays un jour prochain, il est difficile de dire à quel point elles sont fondées. Il est certain en tous les cas que son nom est fréquemment cité dans les potentiels successeurs de Vladimir Poutine. Mais il n’est pas le seul, puisque son fils Dmitry Patrouchev, ministre de l’Agriculture depuis 2018, figure également dans cette short list non-officielle. « En vérité, on n’en sait strictement rien ! », confiait Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/Nouveaux États indépendants de l’Institut français des relations internationales, à La Libre. « Tout cela peut être aussi de la manipulation d’information, téléguidée depuis le Kremlin. Faire circuler des noms permet d’induire en erreur les Occidentaux, qui croiront que Vladimir Poutine n’en a plus pour longtemps. »
Interrogée par nos soins, Anne Godart estime pour sa part qu’en cas de décès de Poutine, il n’y aurait pas une personne pour lui succéder. « Ce serait un groupe, une espèce de politburo actualisé », conclut-elle.