Un rapide bonjour, un vibrant “one, two, three, four” quasi hurlé, et une déflagration. Un énorme big bang fait trembler tout le stade. Le 25 juin 1985, Geoffroy-Guichard vrombit comme rarement. Pas pour les Verts, une fois n’est pas coutume, mais pour une icône du rock’n’roll.
Ce soir-là, Bruce Springsteen et son E Street Band lancent, avec Born in the USA, un show surpuissant. Ça secoue, ça rugit, ça pousse, on se doute même que ça doit sentir la sueur, et les 25 000 spectateurs rassemblés sur la pelouse stéphanoise s’éclatent. Le Boss et ses musiciens transforment le Chaudron en fournaise.
Prix de la place : 100 francs
Dans la fosse, Bernard Cuda, 17 ans à l’époque, se réchauffe au soleil springsteenien. Quarante ans plus tard, le Stéphanois se rappelle de ce 25 juin 1985 comme on se souvient d’un premier amour. Intime, il l’était pourtant déjà un peu avec Bruce. Le coup de foudre date du début des années 80. À l’époque, Antoine de Caunes anime l’émission Chorus sur Antenne 2 et diffuse autant qu’il le peut les titres du Boss. « À vrai dire, en 1985, Springsteen n’était pas particulièrement célèbre en France. À part deux ou trois copains, pas grand-monde ne l’écoutait autour de moi. Le grand public connaissait Born in the USA, parce qu’elle était martelée à la radio. Mais c’est tout. »
Le 25 juin 1985, donc, Bernard descend de la rue Palluat-de-Besset, à Saint-Étienne, où il habite. Direction Geoffroy-Guichard. « J’ai vu mon pote Maurice à la fenêtre, on vivait dans le même immeuble. Je lui ai dit de venir, on a rejoint d’autres copains, et on a pris nos billets au guichet. » Pour Bernard, ce sera la place n° 001526. Le tarif : 100 francs, soit 31,56 euros.
À 19 h 30, Springsteen et son E Street Band grimpent sur scène, montée au pied de la tribune Jean-Snella. « Il courait dans tous les sens. Moi, je me sens envahi par une douce euphorie. » Tous les titres de l’album Born in the USA y passent. Ainsi que quinze autres morceaux. « Ils ont joué Bobby Jean, une de mes préférées. Des concerts, j’en ai vu des dizaines et des dizaines. Généralement, ça dure 1 h 40, deux heures maximum. Springsteen a joué 3 h 30 ! Je me suis même retrouvé sur les épaules de Maurice. Quelle fête… »
Je suis resté deux ou trois jours sur mon petit nuage. L’été qui a suivi, j’avais trouvé un job en Charente-Maritime. J’ai converti tout le monde à Springsteen
En sortant, Bernard a du mal à faire redescendre la température. « Je suis resté deux ou trois jours sur mon petit nuage. L’été qui a suivi, j’avais trouvé un job en Charente-Maritime. J’ai converti tout le monde à Springsteen. Je me suis promis de le revoir. »
Treize concerts, bientôt quatorze
Et ça, pour le revoir, il l’a revu. Treize fois, bientôt quatorze. On déroule la liste : après Saint-Étienne, il y a eu Lyon, le Stade de France, Dublin, Chicago, Milan… Milan ? « Ah, ce concert de 2003 à San Siro… Le meilleur. On est parti au dernier moment, on a acheté des places au marché noir, sans doute à un mafieux. La chaleur était écrasante, il y avait de l’électricité dans l’air. Un orage démoniaque a éclaté. Springsteen s’est encore plus rapproché du public. C’était spécial. »
La dernière, c’était à Marseille, samedi soir, avec femme et enfants, puisque la Springsteenmania a gagné toute la famille Cuda. « Je n’ai jamais forcé personne, temporise Bernard. Ils s’y sont intéressés parce qu’ils ont vu à quel point chaque show me rendait heureux. La passion s’est transmise naturellement. » La prochaine, ce sera à Milan, encore, le 30 juin.
Quarante ans après le concert de Geoffroy-Guichard, Bernard ne garde que deux regrets. L’absence, le 25 juin 1985, de Steven Van Zandt, l’un des guitaristes du E Street Band, sur la scène de Saint-Étienne. « Et mon affiche du concert. On l’a perdue dans un dégât des eaux. » Pour se consoler, il a ses autres trésors. Dans son appartement stéphanois, pas de coussins, assiettes ou pantoufles « ridicules » siglés Springsteen. Mais des places de concert soigneusement rangées, quelques DVD, des disques, des disques et encore des disques. « Je les ai en plusieurs éditions, quelques pirates, des bootlegs… Ça ne doit pas faire tant que ça. » Après un décompte précis, réalisé sous nos yeux, on recense 76 vinyles et 115 CD (un total qui ne tient pas compte des 45 tours, estimés à une quinzaine). « Je ne savais pas que j’en avais autant, ça fait peut-être un peu beaucoup. » Mais quand on aime…
Le batteur du E Street Band lui a offert ses baguettes
Le 25 juin 1985, les responsables de la buvette de Geoffroy-Guichard ont besoin de quelqu’un qui se débrouille en anglais. Parmi les employés, il n’y en a qu’un qui lève le doigt : Lionel Lopes-Quintas, étudiant. « Parfait, tu vas servir le café aux musiciens dans les salons du stade. »
Et voilà comment Lionel, 19 ans à l’époque, apprend en « deux secondes » à utiliser un percolateur et se retrouve à papoter, avant le concert, avec les membres du E Street Band. « J’avais peur qu’ils trouvent mon café mauvais, rigole, quarante ans plus tard, celui qui est devenu, depuis, journaliste au Progrès. Ils étaient tous sympas, mais j’ai surtout discuté avec Max Weinberg, le batteur. On a parlé de leur tournée, des voyages. Et il m’a offert ses baguettes ! »
Le concert, Lionel l’a vu depuis le haut des tribunes. « Je me souviens de la puissance du son, de l’énergie de Springsteen, de sa générosité dans l’effort. C’était époustouflant. »