De nombreux pays développés comparables ont fait le choix ces dernières années de promouvoir cette vaccination, mais Paris reste en retrait.
De la fièvre, des boutons qui démangent et cèdent la place à une constellation de croûtes, qu’il faut éviter de gratter sous peine de garder des cicatrices : pour la plupart des petits Français, le scénario d’une varicelle est bien balisé et les parents ne s’en émeuvent guère. L’infection par ce virus est largement perçue dans l’Hexagone comme une étape quasi obligée de la petite enfance. Au point que certains parents font même en sorte de mettre leur progéniture au contact d’un enfant infecté, pour « cocher la case » dans le carnet de santé dès les premières années. Résultat, 9 enfants sur 10 sont contaminés avant l’âge de 10 ans.
L’enjeu : éviter d’avoir la varicelle après 12 ans, lorsque le risque de complications ou de forme sérieuse passe de 4 à 30 %. Car cette maladie, c’est aussi, rien qu’en France, 3000 hospitalisations et 20 décès par an. Et les formes graves ne concernent pas que les adolescents et adultes, chez qui elle peut causer des pneumonies et des encéphalites. Les jeunes bébés, qui tolèrent mal la fièvre, sont aussi très vulnérables, surtout si leur mère n’est pas immunisée et n’a pas pu leur transmettre d’anticorps pendant la grossesse.
Un vaccin efficce et bien toléré
Il existe pourtant, depuis les années 1970, un vaccin efficace et bien toléré contre la varicelle, qui a progressivement été adopté par plus d’une quarantaine de pays parmi lesquels les États-Unis, l’Australie, l’Allemagne, l’Italie… Si l’Agence européenne du médicament a donné son feu vert à la commercialisation de ces vaccins (Varilix et Varivax) dès 2003, la France ne le recommande que dans quelques situations particulières où il ne peut être prouvé que la personne a déjà été contaminée naturellement : après 12 ans, avant un projet de grossesse, dans les 3 jours suivant un contact avec un malade, avant une greffe…
Pour quelle raison les autorités sanitaires n’ont, jusqu’à présent, pas jugé pertinent de le recommander pour tous les enfants à partir d’un an ? Plusieurs arguments ont été considérés par les autorités sanitaires. Mais l’état des connaissances scientifiques sur ce vaccin ayant progressé, la situation pourrait évoluer.
Aucun doute ne plane sur la sécurité des vaccins, sur lesquelles il existe des données solides. « On dispose aujourd’hui d’un recul de trente ans sur sa tolérance, avec plusieurs centaines de millions de personnes déjà vaccinées », rappelle le Pr Robert Cohen, pédiatre-infectiologue. Côté efficacité, sur le plan individuel il n’a que des avantages, poursuit l’expert : « Avec deux doses, il confère la même protection à vie que la maladie naturelle, et ne nécessite pas de rappel. »
Une maladie pas toujours bénigne
« Il est toujours préférable d’éviter une maladie lorsque c’est possible, abonde le Pr Romain Basmaci, chef du service de pédiatrie à l’hôpital Louis-Mourier (AP-HP) et secrétaire général de la Société française de pédiatrie. Une varicelle standard dure 10 à 15 jours, avec 5 à 7 jours de fièvre, et un arrêt de travail des parents. Cela génère de l’anxiété au sein des familles, et au final, on ne peut pas proposer grand-chose hormis donner du paracétamol à l’enfant et lui couper les ongles » pour limiter le grattage.
Avec deux doses, le vaccin confère la même protection à vie que la maladie naturelle.
Pr Robert Cohen, pédiatre-infectiologue
Sans compter que les complications, même rares chez l’enfant, restent possibles. « Il s’agit principalement de surinfections par des bactéries de la peau, staphylocoques ou streptocoques, occasionnant des infections diffuses et massives, avec à la clé des hospitalisations, parfois en réanimation, voire le décès en cas de choc septique très sévère », explique Romain Basmaci. Une varicelle sans gravité peut aussi laisser des cicatrices inesthétiques gênantes, avec des répercussions psycho-sociales à long terme.
Dès lors, pourquoi se retenir de généraliser l’usage de la vaccination chez les bébés ? « Comme il s’agit d’une maladie très contagieuse, on craignait, en cas de couverture vaccinale insuffisante, c’est-à-dire inférieure à 80 %, que cela ne retarde l’âge où les non-vaccinés allaient “rencontrer” le virus naturellement », explique le Pr Cohen. En d’autres termes, ceux qui ne se vaccineraient pas auraient plus de risques d’être contaminés tard, à un âge où les formes sévères sont plus fréquentes.
Le mêm virus que le zona
Autre hypothèse prise en considération par les autorités sanitaires françaises : en cas de moindre circulation du virus naturel, les cas de zona (maladie douloureuse qui touche essentiellement les personnes âgées) augmenteraient. Le zona résulte en effet du réveil du virus de la varicelle endormi dans des ganglions du corps. Un contact régulier avec le virus de la varicelle tout au long de la vie permettrait à notre système immunitaire d’avoir un meilleur contrôle sur ce risque latent, était-il présumé.
Or, des études épidémiologiques de grande ampleur conduites aux États-Unis, où l’on vaccine les enfants depuis 1995, n’ont pas montré de recul de l’âge moyen de contamination naturelle – peut-être grâce à une excellente couverture vaccinale, de 90 % en 2022. Quant au zona, la tendance reste à la hausse mais cela s’explique par le vieillissement de la population, qui augmente le nombre de personnes âgées et immunodéprimées.
En France, face à l’avancée des connaissances scientifiques, la Haute Autorité de santé a prévu de se repencher sur le dossier en fin d’année. En attendant, les parents qui le souhaitent peuvent déjà demander à faire vacciner leur enfant à partir de 12 mois. D’ailleurs, certains médecins généralistes ou pédiatres le proposent spontanément.