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AFP

Publié le

10 avril 2025

Méfiants mais clients, les Français achètent massivement sur Temu et Shein, les géants asiatiques de l’e-commerce dont l’essor fulgurant est soutenu par une mesure douanière les favorisant, décriée par les commerçants européens et à laquelle Donald Trump vient de mettre un coup de rabot.

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Flavie, 34 ans, cadre dans les transports, glane sur Temu des produits qu’elle « ne trouve pas ailleurs », comme un certain type de support à essuie-tout. Louise (prénom modifié), lycéenne parisienne de 17 ans, achète des jeans sur Shein « à (sa) taille ». Particulièrement grande, elle peine à trouver son bonheur dans le commerce classique. Sa camarade Marwa y débourse jusqu’à 120 euros tous les trois mois même si elle estime que la plupart des vêtements « sont de mauvaise qualité », dit-elle à l’AFP.

Fabrication en Chine « pas top pour l’environnement », soupçons de travail forcé des Ouïghours, « manque de clarté » sur la chaîne d’approvisionnement, marketing par le jeu rendant accro: les trois femmes critiquent ces plateformes mais y commandent tout de même.

Comme d’autres, elles sont séduites par les prix cassés, les très larges gammes de choix, la livraison rapide et souvent gratuite. Temu, arrivé en France en 2023, et Shein, en 2015, ont convaincu au-delà des considérations environnementales et sociales, pourtant bien connues des consommateurs.

Mettre le holà

Aujourd’hui en France, les grandes plateformes asiatiques représentent 22% des colis acheminés par La Poste, selon le patron du groupe public français, Philippe Wahl, alors qu’elles pesaient « moins de 5% il y a cinq ans ».

Même tendance exponentielle en Europe où en 2024, environ 4,6 milliards d’envois de faible valeur (à 91% en provenance de Chine) sont entrés sur le marché, un chiffre qui a doublé par rapport à 2023 et triplé par rapport à 2022, s’affole la Commission européenne.

Le nerf de la guerre réside dans ces quelques mots: « de faible valeur », soit moins de 150 euros, seuil en dessous duquel les paquets envoyés depuis un pays tiers dans l’Union européenne échappent aux taxes douanières.

Une exonération qui date de 2010, issue d’un texte visant la « fluidité douanière » et introduisant la notion de « valeur négligeable », soit 150 euros, rembobine pour l’AFP Isabelle Feng, juriste et chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles et Asia Centre.

Mais pointant notamment des risques d’importation « de produits dangereux » et une empreinte environnementale non négligeable sur de tels volumes, la Commission européenne a appelé en février à supprimer cette franchise.

Le commerce international n’a effectivement « plus le même visage », abonde Mme Feng, notamment depuis que la Chine exporte ses produits « directement chez les consommateurs ».

Le président américain n’a pas attendu puisqu’il a signé mardi un décret faisant passer de 30 à 90% les droits de douane sur les petits colis envoyés de Chine.

Mesure « anachronique »

Cette exonération de droits de douane est un avantage « injustifié » et « anachronique » qui crée une « concurrence totalement inéquitable », dénonce Marc Lolivier, délégué général de la Fédération de l’e-commerce (Fevad).

« On est surpris du peu de réaction des autorités françaises et européennes. On a l’impression que chacune se cache derrière l’autre. Résultat: il ne se passe rien », s’étonne de son côté Pierre Bosche, le président de la Confédération des commerçants de France, auprès de l’AFP.

« Si Trump peut prendre des décisions en trois jours, on imagine que la Commission européenne peut le faire en moins de trois ans », s’impatiente également Pierre-François Le Louët, coprésident de l’Union Française des Industries Mode-Habillement.

L’Europe propose bien une révision du code douanier mais « ça va mettre dix ans », s’agace Yves Audo, président du Conseil du Commerce de France.

Or, la situation est d’autant plus urgente que « le marché américain va devenir compliqué pour la Chine », estime Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du Commerce. Le spécialiste craint un report encore plus massif de colis chinois sur l’Europe.

Temu « respecte strictement l’ensemble des lois et réglementations applicables sur les marchés où la plateforme est présente », a réagi la plateforme d’e-commerce, sollicitée par l’AFP.

Par Ornella LAMBERTI
Paris, 10 avr 2025 (AFP)

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