Ce règlement européen, qui entrera en vigueur le 28 juin, obligera les marchands d’art français à fournir des documents attestant de la provenance des pièces venues d’un pays non-membre de l’UE. Ils dénoncent « une usine à gaz ».
Les marchands d’art français s’insurgent contre un règlement européen rendant obligatoire la recherche en provenance des biens culturels importés de pays hors de l’UE pour lutter contre le trafic. Ils dénoncent auprès de l’AFP une « usine à gaz » préjudiciable à leur activité.
« On finira par ne plus rien acheter en dehors de l’Union européenne », s’inquiète Antonia Eberwein, vice-présidente du Syndicat national des antiquaires (SNA). « On risque d’appauvrir le marché des pièces archéologiques mais aussi celui des icônes, de l’art précolombien, indien ou chinois, sans pour autant faire cesser le trafic illicite, par nature invisible et non déclaré. »
Le marché pourrait aussi « se reporter sur des pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis, la Suisse ou l’Asie », déplore celle dont la galerie est spécialisée dans la vente d’antiquités égyptiennes.
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Une licence d’importation pour la revente
Ce règlement, qui entrera en vigueur le 28 juin, doit compléter, via un système informatique centralisé, celui de 2019 instauré pour lutter contre le financement du terrorisme par le trafic illicite d’objets d’art. Il obligera maisons de vente aux enchères, galeristes et antiquaires européens à fournir des documents attestant de la provenance de toute pièce venue d’un pays non-membre de l’UE, afin d’obtenir une licence d’importation pour la revendre.
Initialement conçue pour les biens archéologiques de plus de 250 ans, cette obligation « devient générale » notamment pour les biens de plus de 200 ans, détaille Édouard de Lamaze, président du Conseil des maisons de vente (CMV), régulateur français des enchères publiques.
Ce nouveau mot d’ordre risque aussi d’entraîner des lourdeurs administratives et une baisse de l’activité
Edouard de Lamaze, président du Conseil des maisons de vente
S’il « va renforcer la garantie de transparence pour les acheteurs et collectionneurs et le rôle des commissaires-priseurs, ce nouveau mot d’ordre risque aussi d’entraîner des lourdeurs administratives et une baisse de l’activité », estime-t-il.
La réglementation va en effet obliger les quelque « 850 commissaires-priseurs des 550 maisons de vente françaises à recourir systématiquement à des experts pour retracer l’historique des œuvres, difficile voire impossible » dans certains cas, « notamment pour toutes celles héritées et non documentées », ajoute Édouard de Lamaze.
« On nous demande de fournir des choses qui n’existent pas ! », complète Antonia Eberwein pour qui « ce règlement est absurde et dénote un manque total de connaissance de la réalité ». Pour obtenir une licence d’importation, « il faudra aussi fournir une licence d’exportation du pays d’origine à partir de documents qui n’existent pas » (factures, contrats d’assurance, catalogues, déclaration sous serment de l’exportateur…), s’insurge-t-elle.
Il risque de pénaliser une grande partie du marché
Alexandre Giquello, président du groupe Drouot
Alors que certains pays, comme le Mexique, « interdisent toute exportation et revendiquent la totalité de leur patrimoine archéologique (…) tout dépendra de (leur) bonne foi », rappelle également Alexandre Giquello, commissaire-priseur et président du groupe Drouot. Lui aussi voit « d’un très mauvais œil » ce règlement et pointe le « risque de pertes économiques conséquentes ». Selon lui, « il risque de pénaliser une grande partie du marché en introduisant une usine à gaz longue à mettre en place et d’allonger considérablement les délais ».
En conséquence, Édouard de Lamaze « en appelle à la ministre de la Culture, Rachida Dati, afin d’aider les professionnels dans cette tâche très lourde ». Pour lui, leur responsabilité « devrait être restreinte à une obligation de moyens et non de résultat ».
Des licences d’importations délivrées par le ministère
C’est en effet le ministère qui aura la charge d’autoriser les licences d’importation dans un délai de 90 jours à compter de la demande, selon un document des douanes consulté par l’AFP, qui prévoit aussi des contrôles douaniers et une sanction de trois ans d’emprisonnement, la confiscation de l’objet d’art et une amende pouvant aller jusqu’à deux fois sa valeur en cas de fraude.
Alexandre Giquello préconise, lui, « d’appliquer rigoureusement la convention de l’Unesco de 1970 » contre le trafic illicite de biens culturels, entrée en vigueur en 1972 et ratifiée par quelque 140 États, « qui relève du droit international et non de l’interprétation voire du détournement politique ».
Galeriste parisien spécialisé dans la vente de pièces archéologiques du bassin méditerranéen (Grèce, Égypte, Italie), David Ghezelbash n’est en revanche « pas inquiet ». Opérant « depuis longtemps hors de l’UE », il travaille « avec nombre de musées américains » et « achète principalement des pièces dont la provenance est documentée avant 1972 et qui ne sont pas sujet à réclamation ». Il fait aussi régulièrement appel à un expert indépendant « afin de retracer l’historique de chaque œuvre, dans la mesure du possible ».
Selon lui, « une zone grise » demeure cependant « pour tous les objets sans historique documenté avant 1972, notamment ceux provenant d’héritages, qui risquent d’être décrédibilisés ».