Les milliardaires sont des créatures exigeantes et impatientes. Dans les précédentes versions de l’équipe qui se nomme aujourd’hui Aston Martin, la continuité du personnel était une marque de fabrique, même si les propriétaires allaient et venaient. Sous la direction de Lawrence Stroll… eh bien, c’était probablement une erreur de ne pas installer une porte tournante dans le somptueux nouveau « campus » de l’écurie à Silverstone.
Depuis que ses voitures se sont pour la première fois habillées du fameux British Racing Green, les monoplaces ont connu des difficultés et des têtes sont tombées. En juillet dernier, Aston Martin a annoncé le recrutement d’Enrico Cardile chez Ferrari, en tant que directeur technique. Il y a également eu au moins deux restructurations du département d’ingénierie pendant la période de dispense de préavis (les fameux « congés de jardinage ») de l’ingénieur italien.
Ferrari se bat d’ailleurs toujours pour retarder la date de son entrée en fonction chez l’écurie anglaise. Le statut de l’emploi de Cardile est en train de devenir l’équivalent F1 de « Jarndyce contre Jarndyce », l’interminable affaire d’homologation qui sert de toile de fond au roman « La Maison d’Âpre-Vent » de Charles Dickens.
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Pendant que Cardile s’occupe de son jardin, Adrian Newey a été engagé pour occuper un nouveau poste qui se situe au-dessus de celui de directeur technique dans la hiérarchie. Lorsque Newey a pris ses fonctions à l’usine le mois dernier, il a clairement indiqué que sa priorité serait d’apprendre à connaître l’équipe et de se concentrer sur le futur règlement 2026.
Lors de ses précédents changements d’équipe, lorsqu’il est passé chez McLaren puis chez Red Bull, le Britannique a fait tout son possible pour ne pas être impliqué dans le développement des voitures existantes. Mais, compte tenu des débuts médiocres d’Aston Martin cette saison, Newey pourrait bien être obligé de revoir ses plans.
Les deux AMR25 ont été éliminées dès la Q2 en Australie, bien que la belle sixième place de Lance Stroll ait atténué l’angoisse suscitée par les résultats en qualifications et la sortie de piste de Fernando Alonso. Le Grand Prix de Chine s’est déroulé de manière similaire : une course sprint sans point avant une neuvième place pour Stroll (grâce à trois disqualifications devant lui) et un abandon prématuré d’Alonso le dimanche, victime d’une défaillance des freins dans les premiers tours.
Au Japon, Stroll s’est qualifié dernier et a terminé à la même position. Il a été le seul pilote à finir avec un tour de retard, incapable de faire fonctionner sa stratégie décalée qui consistait à s’élancer en pneus tendres. Alonso a lui été éliminé en Q2 alors que sa voiture a complètement changé de comportement.
Fernando Alonso, Aston Martin
Photo de: Andy Hone / Motorsport Images
« Nous ne sommes pas assez rapides pour être dans le top 10. Je pense que nous ne sommes même pas assez rapides pour être dans le top 18 », a déclaré Alonso après la course au Japon. « C’est pourquoi être 11e est un peu un miracle. Parce que, comme je l’ai dit, la voiture s’est montrée assez constante tout au long de la course. Elle n’avait pas beaucoup d’adhérence. Nous avons aussi la voiture la plus lente dans les lignes droites. »
Si certaines des autres remarques d’Alonso, comme le fait de considérer ce résultat comme l’une de ses plus belles courses (une affirmation que nous avons sûrement déjà entendue), étaient un peu exagérées, l’Espagnol ne s’est pas vraiment trompé sur la vitesse de l’AMR25. Alors que la Stake Sauber de Gabriel Bortoleto était la plus lente à passer le radar lors des qualifications et que l’Alpine de Jack Doohan était la plus lente en course, les deux pilotes Aston Martin n’étaient en réalité pas beaucoup plus rapides. Ils étaient plus de 8 km/h plus lents en course que la Mercedes de George Russell, la voiture avec la meilleure vitesse de pointe à Suzuka.
Ainsi, les premières courses de la saison ont toutes présenté une image similaire, bien que moins extrême. Tout porte à croire que l’Aston Martin manque d’efficacité aérodynamique. L’équipe semble devoir sacrifier la vitesse en ligne droite pour trouver des performances dans les virages, en plus que la voiture soit extrêmement sensible aux changements de direction du vent, ce qui – selon ses dires – a été l’un des facteurs responsables du passage d’Alonso dans le bac à gravier le vendredi.
Selon les informations de Motorsport.com, les lundis qui suivent des week-ends de course décevants sont des lundis désagréables à l’usine d’Aston Martin, le propriétaire soufflant sa colère sur ses malheureux employés. Il est donc inévitable qu’à un moment ou à un autre, Newey soit orienté vers le projet 2025 en difficulté. La forme que prendra cet apport n’est pas claire. L’ingénierie de la F1 ne suit pas tout à fait les règles de la savane, où la première tâche d’un jeune lion lorsqu’il prend la tête d’une troupe est de tuer toute la progéniture de son prédécesseur.
Continuer sur la voie de l’AMR25 ou laisser Newey travailler ?
Robert Doornbos, pilote de réserve Red Bull Racing en 2006.
Photo de: Edd Hartley
Lors d’une interview accordée en 2007, Newey a déclaré que lorsqu’il avait rejoint Red Bull en 2006, il avait « pris le temps de comprendre la voiture existante » avant de se consacrer entièrement à la conception de la prochaine monoplace, partant cette fois d’une feuille blanche. Dans son autobiographie, il ne s’est pas montré particulièrement cordial sur ce qu’il avait découvert, sur les raisons pour lesquelles il avait choisi son dernier concept McLaren comme point de départ, et sur celles expliquant pourquoi la Red Bull de 2006 offrait si peu de possibilités de changement.
« La voiture que j’ai dessinée était une meilleure base que la Red Bull de 2006 », écrit le Britannique, « [Cette dernière] surchauffait, avait peu d’appui aérodynamique, se comportait mal et avait une boîte de vitesses peu fiable. Mais, à part cela, c’était bien ! »
Aussi, lorsque le différend juridique concernant son congé de jardinage (certaines choses ne changent jamais) chez Williams s’est résolu au milieu de l’année 1997, Newey a été immédiatement contraint d’assister au Grand Prix de Hongrie pour améliorer la voiture existante, alors que tout ce qu’il désirait, c’était se concentrer sur celle de la saison suivante. Il a suggéré d’utiliser des ressorts plus souples et a commencé à préparer la suite sur sa planche à dessin.
C’est là que réside le problème d’Aston Martin. Adrian Newey est essentiellement un créatif, un visionnaire. Le pousser à développer un concept existant est un gaspillage de ses capacités, surtout si ce concept est fondamentalement défectueux. « J’essaie toujours de dessiner avec passion », peut-on lire dans son autobiographie. « En d’autres termes, je dois croire que ce que je dessine sera la prochaine étape. Je constate que si je ne crois pas en ce que je dessine, ça ne fonctionne jamais. »
« La difficulté est de toujours essayer d’être honnête avec soi-même, de savoir quand il faut arrêter de tirer sur la corde et passer à quelque chose de différent. Souvent, je vois des collègues qui protègent certaines pistes bien trop longtemps alors qu’il est de plus en plus évident qu’elles ne donneront pas de résultats. »
Il serait peut-être avantageux pour Aston Martin, à long terme, d’envoyer l’AMR25 vers l’abattoir, et de consacrer la prodigieuse créativité de Newey au succès de la voiture de la saison prochaine. Mais cela nécessiterait une patience qui semble faire défaut au sommet de la hiérarchie…
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Stuart Codling
Formule 1
Aston Martin
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