Dans un climat politique tendu, marqué par le retour fracassant de Donald Trump à la présidence, un nombre croissant d’Américains envisagent sérieusement l’expatriation. Destination privilégiée : l’Allemagne. C’est ce que révèle la Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui a interrogé plusieurs expatriés sur leurs motivations, souvent profondément politiques.

“J’ai peur pour notre avenir”, confie John Moore, manageur californien dans la tech, qui prend des précautions dignes d’un lanceur d’alerte pour évoquer en visioconférence son projet de départ : visage masqué, arrière-plan obstrué. Pour lui, la démocratie américaine est déjà “abolie”, et le risque de représailles pour ses opinions politiques ne relève pas que d’une paranoïa. La famille Moore accélère désormais son départ vers l’Allemagne, redoutant l’effondrement du système universitaire américain sous la pression du pouvoir exécutif. “Les derniers mois ont été un véritable chaos”, résume-t-il.

Ces inquiétudes ont de l’écho sur Reddit, où se retrouvent ceux qui se sentent de plus en plus étrangers à leur propre pays. Une désaffiliation sociale et professionnelle s’ajoute aux peurs économiques. Certains, comme Nick Speach, déjà installé à Hiddenhausen depuis 2021, ont franchi le pas. Ancien cadre IT dans une chaîne hôtelière internationale, Nick Speach a vu son salaire baisser en Allemagne, mais sa qualité de vie grimper. Aujourd’hui, il aspire à la citoyenneté allemande, séduit par l’éducation gratuite, la stabilité sociale, et une couverture santé qui contraste nettement avec le système américain : “Je payais 700 dollars [615 euros] par mois, et lorsque j’ai subi une intervention chirurgicale mineure et de routine à l’hôpital, j’ai quand même dû ajouter 8 000 dollars [7 000 euros] de ma poche.”

L’Allemagne séduit par sa stabilité, mais aussi par son accessibilité : grâce au statut de “pays ami privilégié”, les Américains peuvent entrer sans visa et ont ensuite quatre-vingt-dix jours pour effectuer les démarches nécessaires à l’obtention d’un permis de séjour. Les valeurs des deux pays sont proches. D’ailleurs, le quotidien souligne que 12 % des Américains déclarent avoir des origines allemandes. Pourtant, les obstacles restent nombreux : barrière de la langue, reconnaissance universitaire incertaine, méconnaissance des démarches administratives. Kevin Kocher, directeur de l’agence Immigrant Spirit à Hambourg, en témoigne : “Embaucher un Américain, ça fait du travail aux entreprises, elles trouvent ça compliqué.”

Reste que pour ceux qui franchissent le pas, l’Allemagne devient plus qu’un refuge temporaire. Le modèle social, la sécurité, l’éducation et l’accès aux soins transforment souvent une fuite politique en installation durable. Au point que certains, comme John Moore ou Nick Speach, n’imaginent plus revenir.