Après avoir condamné plusieurs cinémas de la capitale, le groupe de Jérôme Seydoux et de Rodolphe Saada éteint les lumières du Miramar lundi 9 juin.
Une autre salle emblématique du paysage cinématographique de Paris ferme ses portes. Lundi 9 juin, le groupe Pathé tire le rideau du Miramar, grande salle de la rive gauche à Paris. Dans le quartier, après le Bienvenue Montparnasse fermé en 2012, le Mistral à Alésia en 2016 et le Bretagne fin 2023, c’est au tour de la célèbre salle de la place du 18-Juin d’éteindre à jamais ses lumières. Vers 22 heures, après les projections de Jeunes Mères et de Ma Mère, Dieu et Sylvie Vartan, ce sera la fin. Ce cinéma au confort trop vieillot, avec sa décoration 70’s et ses portes vitrées poussiéreuses, va mourir à 87 ans, juste avant la Fête du cinéma. Il n’attirait plus grand monde. La nouvelle a été révélée par Axel Huyghe, historien des salles de cinéma et fondateur du site salles-cinema.com. Sollicités par Le Figaro, les dirigeants de Pathé se montraient injoignables mercredi.
Que va devenir le lieu ? Mystère. Dans le même bloc d’immeubles, cohabitaient deux cinémas. Le Miramar, place du 18-Juin, et le Pathé Parnasse côté rue d’Odessa. Construits avant-guerre, ils sont une succession de labyrinthes qui traversent différentes copropriétés. Pathé n’a jamais réussi à obtenir des différents propriétaires la permission de relier le Miramar au Pathé Parnasse. Fin 2022, seul ce dernier a été rénové et repensé. Son entrée qui donnait sur le boulevard Montparnasse a été fermée pour économiser un loyer. Côté rue d’Odessa, le bar promis lors de la réouverture n’a jamais ouvert ses portes. Malgré la rénovation récente, les spectateurs ayant du mal à marcher et ceux en fauteuil roulant sont les grands oubliés de ce multiplexe. La salle tout en haut leur est inaccessible à cause d’un escalier. Les autres sont desservies par un seul ascenseur. Quand il est en panne, les personnes âgées doivent rebrousser chemin. Pour autant, le Pathé Parnasse est une destination en soi. Positionné 100% premium, il est de loin, le cinéma le plus confortable de la capitale. Le plein tarif à 18,50 euros est passé à 19,50 euros et à 15 euros en semaine avant 18 heures. À côté, le Miramar, délaissé, faisait pâle figure.
Un cinéma qui ferme n’est jamais une bonne nouvelle. Encore moins quand celui-ci est une adresse historique. Paris reste la capitale qui a le plus grand nombre de salles, mais pour combien de temps encore ? La maire Anne Hidalgo n’a pas encore pris position et elle n’a pas fait jouer son droit de préemption. La Ville en a-t-elle même les moyens ?
Un fleuron de l’après-guerre
Le Miramar avait ouvert ses portes juste avant la Seconde Guerre mondiale, en 1938, avec Greta Garbo dans Marie Walewska de Clarence Brown. La suite de la programmation sera aussi prestigieuse avec Bus Stop, Diamants sur canapé, Lawrence d’Arabie, Angélique et le Roy, Paris brûle-t-il ? ou encore La Piscine. « C’était un cinéma majestueux avec une grande salle unique dotée d’un balcon », raconte Axel Huyghe qui a consacré un livre passionnant à Joseph Rytmann, fondateur de plusieurs cinémas emblématiques de la capitale, dont le Miramar, le Mistral et le Bretagne. Surnommé « L’Empereur de Montparnasse », cet entrepreneur indépendant né en 1903 était d’origine Biélorusse. Fuyant les pogroms, ce juif ashkénaze s’installe à Paris. Il travaille dans des magasins de bois et de textile avant de miser sur les cinémas. « Avant-guerre, les cinémas étaient un commerce florissant, raconte son biographe Axel Huyghe. En 1933, Joseph Rytmann commence par acheter le Miramar à Alésia qui, après avoir été le théâtre de Montrouge, avait déjà été transformé en cinéma. En 1938, il acquiert le Miramar à Montparnasse. À l’époque, il y a seulement deux salles dans le quartier, le Cinéas, une salle d’actualité logée dans la Galerie des Marchands de l’ancienne gare Montparnasse et le Pathé de la rue d’Odessa à quelques mètres du Miramar. » L’architecte en vogue, Maurice Gridaine (à qui l’on doit l’ancienne salle du Palais des festivals à Cannes) a l’idée d’une salle de 1 000 fauteuils et surtout d’une monumentale façade visible de très loin, notamment le soir.
Pendant l’Occupation, les Français de confession juive sont interdits d’exploiter des théâtres et des cinémas. Joseph Rytmann est spolié et se réfugie en zone libre. Il survit à la guerre et doit se battre devant les tribunaux à la Libération pour récupérer ses cinémas. Pendant les Trente Glorieuses, les spectateurs affluent, les bons films sont nombreux et Joseph Rytmann peut investir dans trois nouveaux cinémas à Montparnasse : le Bretagne, le Bienvenue Montparnasse et les Montparnos. C’est lui qui a fait de la colline de la rive gauche, l’incontournable quartier des projections de nouveaux films dans la capitale après les Champs-Élysées et les Grands Boulevards. En 1983, Benjamine Rytmann-Radwanski reprend le flambeau après le décès de son père.
La fin du Bretagne, la désertion des Champs-Élysées
Elle cède ses cinémas à Jérôme Seydoux en 2009. Fin 2023, au moment de la transformation du Bretagne en magasin de sport, le patron de Pathé promettait que le Miramar n’était pas en sursis. La promesse n’aura tenu que quelques mois. À bientôt 91 ans, le tycoon du 7e art rationalise son empire et organise sa succession. Il vient d’ouvrir son capital (cinémas et production de films) à Rodolphe Saadé à la tête de CMA-CGM. Dans Paris, les conséquences sont bien réelles pour les cinéphiles. Aux Champs-Élysées, le groupe aurait bien aimé rester mais il a été victime de la pression immobilière. À Montparnasse comme à Opéra, c’est différent. Au Pathé BNP Paribas près de Garnier qui vient de rouvrir en misant sur le plus d’automatisation possible, le prix des places est le même qu’au Pathé Parnasse alors que le confort des fauteuils et la place pour les jambes n’ont absolument rien à voir. Le système d’achat des boissons et pop-corn derrière des vitres où il faut d’abord introduire sa carte de crédit est trop compliqué. Il n’a pas fait ses preuves ailleurs, il a néanmoins été reproduit ici.
En face, le Pathé Palace devait être le plus prestigieux cinéma de la capitale. Il n’en est rien et brille par l’absence de spectateurs. Les tarifs y sont peut-être pour quelque chose. Fixés à 25 euros, ils ont dû être ramenés à 20 euros. Encore faut-il savoir qu’un cinéma se trouve là. La belle façade ne comporte aucune affiche de films. L’entrée est celle d’un immeuble anonyme de bureaux comme on en retrouve des centaines dans le quartier. Et ceux qui s’y aventurent découvrent que les fauteuils de la grande salle n’ont pas le confort de leur prix. À l’heure où les cinémas manquent de films intéressants et où la fréquentation des salles flanche, ces stratégies sont pour le moins originales.
Rytmann, l’aventure d’un exploitant de cinémas à Montparnasse, Axel Huyghe et Arnaud Chapuy, préface de Claude Lelouch. L’Harmattan, 128 pages, 30 euros.