Pour la première fois depuis leur mise en service il y a plus de 30 ans, l’Antarès, l’Altaïr et l’Aldébaran, de la Marine nationale, ont quitté la pointe Bretagne pour rejoindre Toulon, a constaté Mer et Marine.
Les trois bâtiments remorqueurs de sonars (BRS) de la Marine nationale sillonnent les eaux de la rade de Toulon et de ses accès depuis la semaine dernière. Une mission exceptionnelle pour ces petites unités de moins de 30 mètres, spécialement conçues pour surveiller les chenaux d’accès à la rade de Brest, sa base navale ainsi que la base de l’île Longue, où sont stationnés les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) français. Leur mission consiste à veiller à ce qu’aucune menace, en particulier des mines, ne viennent entraver les mouvements des unités entrant et sortant de la rade de Brest.
Le BRS Altaïr avec sonar déployé à Brest.
Mis en service en 1993, 1994 et 1995, les Antarès, Altaïr et Aldébaran n’étaient encore jamais venus à Toulon, où les fonds marins sont historiquement inspectés par les chasseurs de mines tripartites (CMT) avec leur sonar de coque et, au besoin, par le groupe des plongeurs démineurs de la Méditerranée (GPD Med). Des moyens qui surveillent également régulièrement les approches de la rade varoise, ainsi que les voies maritimes et accès aux ports de commerce de la façade méditerranéenne.
Il faut dire que la bathymétrie est très différente entre l’Atlantique et la Méditerranée. Depuis Brest, le plateau continental s’étend au large, avec des fonds descendant progressivement à 300 mètres sous la surface de l’eau jusqu’au bord du talus, alors qu’en Méditerranée, on atteint très rapidement de grandes profondeurs. Ainsi, à quelques encablures de la sortie de Toulon, la hauteur d’eau est déjà supérieure à 200 mètres, profondeur jusqu’à laquelle travaille le sonar remorqué DUBM-44 embarqué par les BRS. Et juste après, le plancher marin tombe à plusieurs milliers de mètres.
Alors, au-delà d’offrir une belle mission jusqu’en Méditerranée aux équipages des trois bâtiments, pourquoi avoir envoyé l’Antarès, l’Altaïr et l’Aldébaran à Toulon ? D’abord, selon les informations recueillies par Mer et Marine, il s’agit d’établir une cartographie précise des fonds de la rade varoise et de ses accès avec des sonars à balayage latéral et synthèse d’ouverture, une capacité dont ne disposent pas à ce stade les unités stationnées sur la façade méditerranéenne.
Le BRS Antarès à Toulon.
Le BRS Antarès à Toulon.
Le BRS Altaïr à Toulon.
Le BRS Altaïr à Toulon.
Le BRS Aldébaran à Toulon.
Ce déploiement s’inscrit en fait dans le cadre du programme de renouvellement des moyens de guerre des mines de la flotte française. La relève des CMT et BRS est basée sur un module robotisé de lutte contre les mines (MLCM) développé par Thales dans le cadre du programme franco-britannique MMCM. Chaque module comprendra deux drones de surface (USV) de 12 mètres pouvant embarquer deux charges utiles : soit, pour la détection et la classification de mines, un sonar remorqué à immersion variable qui est une évolution du DUBM-44 équipant les BRS ; ou bien un robot téléopéré (ROV) conçu pour l’identification et la destruction des mines. S’y ajouteront des drones sous-marins (AUV) qui auront la même antenne (SAMDIS) et les mêmes fonctions que le sonar remorqué des USV, mais avec la capacité d’évoluer plus discrètement et profondément. Ils seront en mesure de scanner des fonds marins jusqu’à 300 mètres sous la surface de l’eau, contre 200 pour le sonar remorqué.
USV du MLCM en rade de Brest.
Ces MLCM seront mis en œuvre depuis les quais des bases navales (ou de ports hors de l’Hexagone, les modules étant aérotransportables) ou déployés sur les six futurs bâtiments de guerre des mines (BGDM), appelés à succéder aux actuels CMT et qui seront dérivés des nouveaux porte-drones belgo-néerlandais. Alors que huit modules robotisés sont prévus à terme, quatre ont pour le moment été commandés à Thales, qui a livré en décembre dernier, à Brest, le premier système de série, avec comme première capacité disponible un USV équipé d’un sonar remorqué, qui a reçu en janvier une autorisation de navigation en mode téléopéré (il peut aussi être piloté par des marins depuis sa cabine). Ce qui a permis de déployer les BRS quelques semaines en Méditerranée, leur fonction d’inspection des chenaux d’accès brestois pouvant être assurée par le nouveau drone. Même si celui-ci ne devrait pas voir sa première capacité opérationnelle prononcée avant la fin de l’année.
D’ici là, Thales doit avoir livré cinq autre USV neufs, ainsi que le prototype du système après son retrofit. Les travaux continuent par ailleurs autour de la qualification du ROV, alors que les huit AUV du type A18-M allant compléter les modules doivent être livrés par Exail entre 2028 et 2030.
Les MLCM vont d’abord permettre de remplacer à Brest les trois BRS brestois, qui doivent être retirés du service d’ici 2026. Puis, avec les futurs BGDM, dont la commande n’est toujours pas notifiée (et ne le sera peut-être pas cette année comme prévu au budget), ils assureront la succession des CMT, qui au rythme où vont les choses ne seront remplacés qu’à partir de 2030. Décision a donc été prise de prolonger les derniers chasseurs de mines, dont huit exemplaires sont encore en service. Des bâtiments entrés en flotte entre 1984 et 1988 pour sept d’entre eux et en 1996 pour le plus récent. Six sont basés à Brest (Andromède, Pégase, Croix du Sud, L’Aigle, Céphée et Sagittaire) et les deux autres (Lyre, Capricorne) à Toulon.
Le CMT Capricorne en rade de Toulon.
Le passage des BRS dans la base navale varoise est donc aussi l’occasion de tester localement l’emploi d’une antenne remorquée à immersion variable de type TSAS (towed synthetic aperture sonar) pour la guerre des mines, en prévision de l’arrivée des MLCM qui œuvreront sur la façade méditerranéenne. Un premier module y est attendu en 2028, a-t-on appris. Et il s’agit donc, préalablement, de mettre à jour les connaissances des fonds marins locaux. « Cette évolution technologique nécessite une mise à jour de la base de données existante. Pour établir un état initial de cette nouvelle base de données, il est essentiel de réaliser une campagne de levée de fonds sonar dans les zones d’intérêt », précise-t-on de sources militaires. La mission toulonnaise des trois BRS, débutée fin mai et qui doit s’achever en ce début de mois de juin, est soutenue « par des experts des opérations de guerre des mines pour l’analyse rapide des données sonar ainsi recueillies dans nos approches métropolitaines d’intérêt ».
Construits par le chantier Socarenam de Boulogne-sur-Mer, les BRS sont dérivés des bâtiments d’instruction à la navigation (BIN) Glycine et Églantine, mis en service en 1992 et conçus sur la base d’une coque de chalutier. Longs de 28.3 mètres pour une largeur de 7.7 mètres et un déplacement de 340 tonnes à pleine charge, les Antarès, Altaïr et Aldébaran sont armés par un équipage de 23 marins. Ils peuvent atteindre la vitesse de 11 nœuds et franchir 3500 nautiques à 10 nœuds. Les BRS ont été adaptés pour la mise en œuvre d’un sonar remorqué optimisé pour la détection de mines, mais aussi d’une drague mécanique (capacité qui n’est pas prévue avec les MLCM à ce stade). Le sonar d’origine dont ils étaient équipés, le DUBM-41, a été remplacé entre 2007 et 2009 par un DUBM-44, premier sonar remorqué doté d’une antenne à ouverture synthétique. Grâce à cette technologie, il est possible de scanner latéralement une bande de 300 à 400 mètres, jusqu’à 200 mètres de fond, avec un niveau de précision très fin de l’imagerie recueillie.
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