Le port de Nice, Thierry en connaît « bien tous les recoins ». Sauf un, au bout de la petite rue Balatchano. « C’est là qu’il y a le centre d’hébergement d’urgence. Les SDF y passent la nuit. Vaut mieux pas y aller », préconise-t-il, méfiant, sans pour autant, depuis quinze ans qu’il habite le quartier, avoir pris le temps de discuter avec l’un de ces hommes qui lui ressemblent tellement. Ils ont le visage plus buriné, le corps plus fracassé.

Mais ils ont le même âge que Thierry. La soixantaine bien tassée, des enfants qui vivent loin, de la solitude à tuer. Pour se rendre compte de tout ça, il suffisait au vieux Niçois d’observer, une soirée, cette halte de nuit, ouverte depuis deux décennies par la Fondation de Nice. Il aurait alors vu tout ce que la rue ne saurait arracher à l’humanité. « Les gens gagneraient à mieux nous connaître », résume Élodie Jonard. Avec son collègue Alexandre Richon, la coordinatrice présente le fonctionnement de ce site unique à Nice.

Pour les hommes, les femmes et les animaux de compagnie

La Halte peut accueillir jusqu’à 28 hommes et 21 femmes, répartis dans deux bâtiments distincts. Il y a trois agents d’accueil et deux veilleurs de nuit. Contrairement à la plupart des autres centres d’hébergement d’urgence, les animaux de compagnie sont admis. On se refuse à cette discrimination.

Ouvert 365 jours

C’est le seul centre d’hébergement d’urgence à être ouvert toute l’année à Nice. Et ce depuis janvier 2024. « Avant on fermait de mi-juin à début octobre, indique Élodie Jonard. Mais l’été, la misère ne prend pas de vacances. La canicule frappe durement les sans domiciles stables. »

Une halte, pas un hôtel

« On offre le lit, le couvert, la douche. Mais pour que le plus grand nombre puisse reprendre des forces en profitant d’une soirée à l’abri, les bénéficiaires ne peuvent être que de passage, détaille la coordinatrice. Il n’y a pas de nombre de nuitées maximums. Mais on explique bien que c’est une halte, pas un hôtel. Personne ne doit habiter ici. »

Renouveler sa nuitée en appelant le 115

Pour pouvoir dormir, il faut appeler le 115. Il y a une liste d’attente et l’appel se fait entre 17h et 18h. Seuls les plus vulnérables, qui ont l’habitude de venir ici, sont inscrits d’office et n’ont pas à appeler.

Accueillir en priorité les plus âgés

Il y a de plus en plus de personnes âgées à la rue. Elles passent donc en priorité. « Se loger coûte très cher et les retraites sont de plus en plus basses, constate Alexandre Richon. C’est le produit de notre société individualiste. Certains anciens ont leurs enfants à Nice qui ne veulent pas s’occuper d’eux. Les places en Ehpad sont hors de prix. »

Accueil inconditionnel des grands précaires

Les grands précaires sont souvent à la rue depuis de nombreuses années. « Ce sont des gens particulièrement vulnérables, en rupture totale avec le reste de la société, développe Alexandre Richon. Donc, s’ils identifient la halte comme un lieu de répit, où ils se sentent en sécurité, c’est une immense victoire et on ne leur fermera jamais la porte, quitte à sortir de nouveaux lits. »

Essayer de redonner goût au vivre ensemble

Partager un repas, regarder la télé ensemble, se poser et discuter… Des moments simples qui font du bien. Il y a des profils très variés, plus ou moins « amochés par l’errance ». La cohabitation n’est jamais quelque chose de simple. Mais ça s’entretient.

Pas d’alcool autorisé

Il est interdit de boire ou de prendre la drogue. Mais parce que certains sont trop dépendants pour passer la nuit sans consommer, « chacun peut aller en ville, tant qu’il revient à 22h30 », assurent-elles.

Pas de violence tolérée

Le règlement est très strict là-dessus. Aucun coup, aucune injure ne sont tolérés. « Sinon on appelle la police et les pompiers, prévient la coordinatrice. Mais le lendemain, l’exclusion aura pris fin. On est là pour accueillir, pas pour juger et condamner. »

Faire confiance

Il n’y a pas d’agent de sécurité, les sacs ne sont pas fouillés. La confiance est de mise. « Ce sont leurs affaires, leur responsabilité, prévient Alexandre Richon. On peut remiser les téléphones le temps qu’ils chargent. Mais pour le reste, c’est à eux de gérer. Donc oui, il peut y avoir des vols. »

Un repas fait par le forum Jorge François

Le restaurant solidaire du forum Jorge-François, livre tous les repas du soir. Les petits-déjeuners sont alimentés par les dons de la Banque alimentaire et deux boulangeries du quartier.

Pas d’accompagnement social ou médical

« Un accompagnement fixerait les gens à la Halte car ils reviendraient pour leur suivi, confie Elodie Jonard. Il n’y aurait plus de roulement. Ici, on peut orienter vers d’autres associations et le CCAS. » À partir de juillet, il y aura des travailleurs sociaux qui viendront ici faire des diagnostics.

Un partenariat avec la Croix-Rouge

En maraude, le Croix-Rouge est très proches des grands précaires. Ce lien de confiance permet une meilleure prise en charge. Tous les mercredis soir, des bénévoles partagent la soirée avec les bénéficiaires.

Besoin de dons

« Nous avons besoin de dons en nature: produits d’hygiène, draps, couvertures, serviettes de bain, protections hygiéniques, protections urinaires, lance Alexandre Richon. Mais donner de son temps, déconstruire ses préjugés, c’est tout aussi précieux [1]. »

Comment cohabiter avec le voisinage?

« Faire cohabiter la misère extrême et la tranquillité des riverains, c’est un vrai casse-tête », lâche la coordinatrice de la halte de nuit. Aux alentours de la rue Balatchano où se trouve le centre d’hébergement d’urgence, le voisinage se plaint régulièrement de nuisances sonores ou de comportements choquants. « Les SDF consomment de l’alcool en grande quantité, laissent les détritus au sol et urinent voir défèquent dans la rue », rapporte Cédric dans un courrier adressé à Nice-Matin. Exaspéré, le père de famille, rappelle « qu’il y a de nombreuses écoles dans le quartier ». Les rondes de la police municipale et du service de nettoiement de la Métropole ne suffisent pas à atténuer son ras-le-bol. « Le choix de cet emplacement n’est tout simplement pas adapté », finit-il même par trancher.

Familier à ces critiques, Alexandre Richon réplique tristement: « Mais où pouvons-nous aller? Les plus précaires sont en cœur de ville. Et en même temps, je comprends la réaction des voisins. la halte, nous avons des règles strictes sur le vivre ensemble, nous ne laissons pas faire n’importe quoi. Pour ce qui est du reste des autres rues du quartier, c’est à la mairie d’intervenir. »

 

1. Faire un don financier: Fondationdenice.org/don/

Rens. : Fondationdenice.org/offres-de-benevolat