Treize scandales de treize faussaires sont cette fois décortiqués pour lutter, dit l’auteur, contre deux idées : non, il n’existe pas de « génie » du faux (sauf ceux qu’on n’a pas attrapés) ; oui, il y en a partout, et ils sont très difficilement détectables… Comment détecter un faux ? C’est très simple, répond-il, « la plupart du temps, on ne peut pas. » On peut seulement parler des mauvais faux, ceux qui ont été repérés. Les bons sont restés accrochés aux cimaises.

Harry Bellet pratique une forme de « gai savoir », une manière amusante de raconter mais nourrie par une immense culture du monde de l’art. On lit son livre d’une traite pour suivre comment, chaque fois que les méthodes d’analyse des œuvres s’améliorent, celles des faussaires le font aussi !

Rencontre en 2010 avec Harry Bellet Les faux Corot

Journaliste spécialiste dans l’art, il nous avoua jadis mener « une vie de rêve » : « J’explique à ma femme que je mène une double vie avec mes copains de l’art contemporain. Je ne peux m’empêcher de trouver cette vie rigolote. »

Il cite dans son livre le cas célèbre des faux Camille Corot. Une boutade est célèbre dans le monde de l’art qui dit que « Corot a peint trois mille tableaux dont cinq mille sont aux États-Unis ».

Il voulait humilier le monde de l’art, et le révéler tel qu’il est. C’est plutôt réussi.

Les faux dans l’art sont le fruit, écrit-il, du « plus vieux métier du monde », qu’on songe aux fausses reliques des saints qui ont proliféré. Longtemps le faux fut quasi toléré avec l’argument fallacieux : « Est-ce que les acheteurs qui débutent ne sont pas aussi heureux avec un objet faux qu’avec un vrai ? »

Il nous raconte l’histoire de la Tiare infernale, celle du « petit-fils indigne » du peintre Millet (celui de L’Angelus), celle des faux Matisse et Modigliani d’Elmyr de Hory ou encore le destin d’Éric Piedoie Le Tiec.

Il revient bien entendu sur le cas le plus célèbre, celui d’Haan Van Meegeren (1889-1947) qui réussit à vendre à Goering son faux Vermeer, Le Christ et la femme adultère, pour 1,65 million de florins (plus de 13 millions d’euros).

Dans ce livre fort documenté, on découvre des faussaires sans cesse plus ingénieux qui trafiquent le « pedigree » d’un tableau, créent de fausses photos anciennes sur lesquelles on voit le tableau soi-disant accroché dans un salon élégant, jouent habilement des « experts » et des salles de vente par obtenir une crédibilité.

Le cas Beltracchi

Un des cas célèbres fut celui de Wolfgang Beltracchi et de son procès en 2011 à Cologne. C’est une minuscule erreur qui fut fatale à lui et sa bande, mettant à nu une affaire de faux tableaux courant sur plus de vingt ans avec, sans doute, une centaine de faux tableaux écoulés pour des dizaines de millions d’euros. Le faussaire fut trahi pour avoir utilisé par erreur (à cause d’un pinceau mal nettoyé) un pigment blanc (de titane) qui n’existait pas encore quand Heinrich Campendonk (1889-1957) était censé avoir peint Tableau rouge avec chevaux. Cette œuvre fut vendue 2,8 millions d’euros en 2006 à un trust maltais lors d’une vente aux enchères, un record pour cet artiste expressionniste allemand.

« Ce fut incroyablement facile de berner les gens », expliqua Beltracchi. Lors de son arrestation en 2010, dans son domicile de Fribourg, il était richissime. Il avait inventé les labels de provenance qu’on a trouvés sur les tableaux artificiellement vieillis en les trempant dans du café, produit de fausses photos anciennes censées montrer les tableaux chez leurs collectionneurs. Il avait choisi de rester dans l’ombre et de laisser d’autres personnes s’occuper du contact avec les experts.

Beltracchi : l’enquête sur le plus grand faussaire

Beltracchi a minutieusement étudié les dysfonctionnements et les faiblesses du système. Il avait vite compris qu’il ne fallait pas choisir des artistes trop connus et trop bien documentés.

Même si c’est bien sûr l’argent qui motive tous ces escrocs, Harry Bellet souligne qu’une fois leurs méfaits révélés, ils sont nombreux à rédiger fièrement et avec succès leurs mémoires !

Faussaires illustres | Essai | Harry Bellet | Actes Sud, 240 pp., 22 €, numérique 14 €

EXTRAIT

« Signés Ben Nicholson, Graham Sutherland, Giacometti, mais aussi Chagall, Nicolas de Staël, ou Jean Dubuffet (et on en oublie !), ils bénéficient de pedigrees inattaquables : ils étaient répertoriés dans les archives de grands musées britanniques. Et leur trafic aurait pu continuer longtemps sans la vengeance d’une femme bafouée. »