C’est un jour de semaine comme les autres à l’aéroport de Rennes. Les passagers pour Amsterdam et Dublin patientent en salle d’embarquement. Ceux de Londres viennent d’atterrir et attendent de passer le contrôle de douane dans un pavillon flambant neuf, achevé à l’automne dernier. Au sous-sol, les bagages transitent par des scanners dernier cri pour rejoindre les soutes. Sur le tarmac, Yannick Bouiller vante la sobriété et le silence des nouveaux véhicules électriques. Dans les arcanes de l’infrastructure, le directeur n’est pas peu fier de l’équipement dont il a pris la tête en septembre 2024. « Tout est opéré par nos personnels. On réalise l’assistance en escale, l’enregistrement… »

Couverture Mensuel Rennes

Le Mensuel de Rennes

Magazine curieux et (im)pertinent !

Découvrez

Pendant presque quatre heures, plusieurs cadres de la structure nous déclinent les points positifs de l’aéroport : « efficacité », « fluidité », « rapidité »… « Nous sommes aux standards internationaux, mais de proximité », résume l’ancien directeur juridique et extra-aéronautique de Vinci. Pourtant, ce récit aux allures d’hagiographie, s’il confirme les ressentis positifs des voyageurs, peine à soutenir le poids des chiffres.

Comparé à Nantes…

La plateforme est passée de 860 000 passagers en 2018 à 500 000 en 2024. Une paille comparée à son voisin nantais qui a attiré 7 millions de passagers en 2024, dans ses aérogares saturées. La plateforme rennaise, sous utilisée, pourrait-elle absorber une partie du trafic de sa voisine pour enrayer la chute de sa fréquentation ?

C’est en tout cas ce que promettait le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, en 2018, après l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (NDDL). Sept ans plus tard, rien ne s’est passé comme prévu. Les causes sont multiples. Crise sanitaire, arrivée de la ligne à grande vitesse (LGV) en 2018, doublement du nombre d’élus écolos à la Métropole, désengagement d’Air France non compensé par les compagnies low-cost… Et une plateforme nantaise qui concurrence Rennes, loin de la complémentarité évoquée par l’ancien Premier ministre et souhaitée par la Région, propriétaire de l’aéroport.

Les taxes ont flambé

C’est que l’État, propriétaire de Nantes-Atlantique, avantage fiscalement ses plateformes – généralement de grosses pointures – face aux aéroports régionaux, de taille plus modeste. Déjà historiquement élevées à Rennes, en raison d’une faible fréquentation de l’aéroport, les taxes aéroportuaires ont flambé. Entre 2024 et 2025, le tarif de sûreté et de sécurité est passé de 17,20 € à 20 € par passager hors correspondance. Dans le même temps, il a baissé de 30 centimes à Nantes (8,90 € à 8,60 €). Et les conséquences se font déjà sentir. « Il y a quelques semaines, des compagnies aériennes ont décidé de ne pas aller au bout des discussions avec l‘aéroport de Rennes, du fait de la loi de finances, considérant qu’elle allait rajouter des surcoûts », illustre Michaël Quernez, vice-président en charge des transports à la Région. Ces surcoûts pourraient se chiffrer à 6,60 M€ à fin 2026, alertait, en mars, la Région, dans un courrier adressé à la Direction générale de l’aviation civile (DGAC).

« Tout est opéré par nos personnels. On réalise l’assistance en escale, l’enregistrement… »« Tout est opéré par nos personnels. On réalise l’assistance en escale, l’enregistrement… » (David Brunet)

En outre, suite à l’abandon de NDDL, l’État est empêtré dans une bataille juridique contre Vinci. Elle pourrait déboucher sur une indemnisation de plusieurs centaines de millions d’euros, dans un contexte déjà exsangue pour les finances publiques. Dans ce contexte, l’avenir de la plateforme de Rennes est loin d’être sa priorité. S’y ajoute l’instabilité ministérielle de ces dernières années. Celle-ci conduirait l’État à adopter une gestion strictement administrative de l’ensemble. À défaut d’une vision politique d’aménageur.

Nantes capte 40 % de la clientèle bretillienne contre seulement 15 % pour Rennes

« Situation critique »

La Région tente de pallier l’absence de stratégie. L’allongement de la concession de 2024 à 2026 ? C’est elle qui en est à l’origine. L’objectif : se caler sur le renouvellement de la concession de l’aéroport de Nantes, qui doit s’achever fin 2025 début 2026. Si l’idée d’une fusion des deux plateformes semble abandonnée, la priorité est de les rendre complémentaires. « Il faut intégrer la demande de transport aérien qui continue d’augmenter, alors que l’aéroport de Nantes sature, plaide Françoise Gatel, ministre déléguée à la ruralité, ancienne sénatrice et maire de Châteaugiron. Nantes ne peut plus se développer. » D’autant moins, qu’en prévision de la construction de NDDL, tous les investissements prévus à Nantes Atlantique ont été gelés.

Quels sont les desseins de la Région ? Dans le document qui préfigure la future stratégie aéroportuaire régionale, « l’aéroport de Rennes doit devenir, d’ici à 2040, l’aéroport éco-régional de l’est breton ». L’objectif ? Faire de l‘infrastructure le premier aéroport utilisé en Ille-et-Vilaine. Un véritable défi alors qu’aujourd’hui, Nantes capte 40 % de la clientèle bretillienne contre seulement 15 % pour Rennes.

Le million en… 2040

Le cap du million de passagers, initialement fixé à 2030, est également remis sur la table pour 2040, « idéalement à compter de 2031 ». Des vœux pieux qui se heurtent à la réalité financière. « Le contrat qui nous lie avec la Seard (Société d’exploitation des aéroports de Rennes et Dinard) n’a pas bénéficié de fonds publics après le covid. Le contrat faisait que l’aéroport se portait bien avant la crise sanitaire et que des réserves avaient été accumulées, relève Michaël Quernez. Aujourd’hui, on arrive à un moment critique car les réserves ont été consommées depuis. On est à l’équilibre, mais dans une situation critique. » Un constat à nuancer. Sur le site d’informations légales Pappers, la Seard a dégagé un bénéfice net de 690 000 € en 2023 et son chiffre d’affaires s’élève à 18 M€.

Fréquentation en berne à l’aéroport de Rennes : comment en est-on arrivé là ?

Pas question pour autant que la Région remette la main au portefeuille. Elle préconise « l’autofinancement des investissements » pour, « si possible, viser zéro subvention d’investissements de la Région ». C’est que, dans le passé, elle a été contrainte de compenser le manque d’investissements de la Seard, comprenant Vinci (49 % des parts) et la CCI d’Ille-et-Vilaine (51 %), à la tête de l’équipement depuis 2010.

Mais, in fine, c’est la Région – et donc le contribuable- qui a dû mettre au pot

Le contrat passé à l’époque entre la Région et ce conglomérat était calibré sur la base de l’arrivée de NDDL et donc, sur une jauge qui ne dépasserait pas les 500 000 passagers annuels. L’opération s’est avérée juteuse pour la Seard alors que RNS a dépassé les 800 000 passagers en 2018. Entre 2014 et 2018, les deux actionnaires se sont partagé des dividendes de 4 millions d’euros selon la Chambre régionale des comptes. Certes ces pratiques n’avaient rien d’illégales. Mais, in fine, c’est la Région – et donc le contribuable — qui a dû mettre au pot. « La CCI n’a aucune capacité d’investissement », avance Hervé Cavalan, président de l’Association pour le désenclavement aérien de l’aéroport Rennes Bretagne (Adarb). De gros investissements comme la rénovation de la piste ont été financés par la Région.

Société spécialisée

Le prochain consortium, qui prendra le manche de l’aéroport en 2026, jusqu’en 2046, sera-t-il en mesure de relever le défi ? Le tandem CCI-Vinci devrait en tout cas se porter à nouveau candidat, avec le renfort d’un troisième acteur, la Sealar. Une société spécialisée dans la gestion des petits aéroports régionaux. Le signe d’un déclassement ? Pas forcément.

Le groupe pourrait être dédié principalement à la gestion opérationnelle, tout en étant adossé à la puissance financière de Vinci. Derrière ce trio, d’autres candidats devraient postuler. Le nom du gagnant donnera un indice sur les ambitions réelles pour l’aéroport de Rennes. Réponse en avril 2026.