Par
Brian Le Goff
Publié le
6 juin 2025 à 9h21
Créé en 2007 et situé à proximité de l’aéroport de Rennes, le Centre de rétention administrative doit accueillir temporairement des personnes étrangères en attente d’expulsion. Mais la réalité décrite par les bénévoles de l’association La Cimade tranche avec cette mission administrative : dispositif carcéral renforcé, interpellations déloyales, violences policières.
Dispositif carcéral renforcé
En premier lieu, le CRA a été partiellement réaménagé en 2024. Les cours intérieures de chaque petit bâtiment accueillant quelques personnes ont été légèrement agrandies.
Mais la cour extérieure commune a été réduite en taille et divisée en deux parties pour accueillir un terrain de sport. « Avant, c’était en libre accès, mais, maintenant, l’accès est restreint, rappelant le système de promenades en prison. Même venir à nous est devenu difficile », notent les bénévoles de La Cimade.
La reconfiguration du CRA s’est accélérée en 2024 pour s’approcher du modèle des ‘nouveaux CRA’ […], avec un aménagement sécuritaire composé de barbelés, de grilles bâchées et surélevées. Un filet de protection a aussi été installé au-dessus de la zone d’enfermement pour éviter le parachutage d’objets. Il y a une volonté de carcéralisation au détriment de la santé mentale et physique. Les zones extérieures ne sont accessibles que 45 minutes à midi et 30 minutes l’après-midi.
La Cimade
« Le but des travaux est de restreindre la liberté de mouvement et de réduire les contacts avec les policiers. Alors que des activités (sport, loisirs) étaient auparavant proposées occasionnellement, ces pratiques ont été arrêtées en raison des travaux et, à l’heure actuelle, plus aucune occupation n’est proposée aux personnes retenues qui ne font qu’attendre avec l’angoisse d’être expulsées de force à tout moment », poursuit l’association.
Cette restructuration a également eu pour conséquence la diminution drastique du nombre de personnes enfermées en 2024.
Vidéos : en ce moment sur Actu350 personnes enfermées en 2024
Au total, 350 personnes ont été placées en rétention à Rennes en 2024, dont 344 hommes. « Elles avaient été au nombre de 745 en 2022, et même plus proche de 1 000 en 2020. »
La durée moyenne de rétention au CRA de Rennes a atteint 19,5 jours en 2024. Un quart des personnes retenues y a passé entre 3 et 10 jours (25,4 %), mais près de 19 % y ont séjourné entre 46 et 60 jours, et 10,1 % entre 61 et 75 jours.
Dans le même temps, le taux d’expulsion a même très faiblement baissé de 0,1 point, en passant de 34,2 % en 2023 à 34,1 %.
Ces chiffres vont à l’encontre de l’idée qu’enfermer plus permet d’expulser plus.
La Cimade
Dans le même temps, le taux de personnes libérées est de 63,2 %, dont 58,6 % par les juges.
Des interpellations « déloyales »
La majorité des personnes interpellées l’ont été lors de contrôles de police (45,2 %), à la sortie de prison (44,3 %), lors de pointages au commissariat après assignation à résidence (4,2 %) ou encore à l’hôpital (0,9 %).
Ces interpellations sont jugées déloyales par La Cimade. Elle cite plusieurs cas qu’elle estime préoccupants, notamment, « pour l’un d’entre eux, [l’] interpellation a eu lieu à la sortie de l’hôpital psychiatrique, alors même qu’une précédente mesure de garde à vue avait été jugée incompatible avec son état de santé ».
Un homme a également été placé en rétention seulement cinq jours après avoir subi une blessure par balle et alors que son pronostic vital était précédemment engagé.
La Cimade
Les membres de l’association notent « qu’il est pourtant rare que les juges se prononcent sur le caractère déloyal de ces interpellations ».
Des expulsions express
En 2024, deux vols charters sont partis de l’aéroport de Rennes à destination de la Géorgie, avec à leur bord des personnes retenues enfermées depuis quelques jours seulement. « Ces expulsions express étant exécutées très rapidement, aucun juge n’a le temps d’apprécier la régularité des procédures et notamment des interpellations. »
Bientôt la fin des associations dans les CRA
Le 12 mai 2025, le Sénat a voté une loi visant à mettre fin à un marché public de plus de 40 ans de missions d’assistance juridique. Ce serait alors l’Office français de l’immigration et l’intégration (OFII) qui assurerait ces missions. D’un côté, il est reproché aux associations de faire des recours par « militantisme », tandis que ces dernières considèrent que si cette loi passe, « elle porterait un coup fatal à l’exercice des droits des personnes privées de liberté et à la transparence démocratique ». « Le droit au recours est une exigence constitutionnelle » (article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), selon la Cimade.
Violences policières et détresse psychique
Enfin, La Cimade dénonce une « recrudescence » de la violence au CRA. « Plusieurs hommes enfermés à Rennes ont déclaré avoir été victimes de violences policières (verbales, psychologiques, mais aussi physiques). Deux ont dénoncé des fouilles à nu, avec palpation des parties intimes par plusieurs agents. » De nombreuses plaintes auraient été déposées.
En fin d’année dernière, les actes de désespoir « se sont multipliés ». Sept personnes se seraient infligé des blessures intentionnellement. « Un homme s’est scarifié tout le corps avec une lame de rasoir avant d’ingérer un coupe-ongles. Il a été hospitalisé deux jours avant d’être replacé au CRA. »
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.