L’Union européenne acte un rabotage des droits des passagers aériens. Le seuil d’indemnisation est relevé, les montants diminués. En coulisses, compagnies et consommateurs se renvoient la responsabilité.

Après plus de dix ans de blocages, l’Europe tourne une page. Ce jeudi 6 juin, au terme d’une journée de discussions tendues à Bruxelles, les ministres des Transports des Vingt-Sept ont adopté un texte de compromis sur la réforme des droits des passagers aériens. Un document très attendu par les compagnies, réclamé depuis 2013, qui remet en question le règlement 261/2004 fixant les indemnités en cas de retard ou d’annulation de vol. Son contenu ? Une nette réduction des indemnités accordées aux voyageurs, en échange de droits nouveaux encadrant davantage la relation entre le passager et le transporteur.

Des indemnités revues à la baisse

Jusqu’ici, un passager pouvait percevoir jusqu’à 600 euros pour un retard de plus de trois heures. Désormais, pour les vols jusqu’à 3.500 km et tous les trajets intra-européens, le montant sera plafonné à 300 euros, mais seulement à partir de 4 heures de retard.

Pour les vols plus longs, il faudra attendre six heures pour prétendre à une indemnité de 500 euros. «Les nouveaux seuils d’éligibilité priveront la majorité des passagers de leurs droits d’indemnisation, étant donné que la plupart des retards se situent entre 2 heures et 4 heures», dénonce le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC).

L’argument mis en avant par les États membres favorables au texte ? Le coût jugé excessif des indemnisations pour les compagnies. Il est estimé à 8,1 milliards d’euros par an par la Commission. Dans ce bras de fer, la France a joué le jeu du compromis. «Ce texte aurait pu être plus ambitieux, mais il est une étape importante pour continuer à améliorer la qualité du service offert aux usagers du transport aérien», a déclaré Philippe Tabarot, ministre français des Transports.

De nouveaux droits promis aux voyageurs

Pour faire passer la pilule, la présidence polonaise de l’UE, très active dans la réforme, a introduit des contreparties. Parmi elles : le pré-remplissage automatique des formulaires de réclamation, un délai maximal de 14 jours pour verser l’indemnité ; un meilleur encadrement de l’information précontractuelle ; ou une prise en charge accrue des passagers en situation de handicap ou à mobilité réduite. En tout, «la Commission revendique plus de 30 nouveaux droits, applicables dès la réservation et jusqu’à l’arrivée à destination», s’est félicité le ministre polonais Dariusz Klimczak.

Les passagers dont le vol est annulé devraient aussi bénéficier d’une indemnité automatique, sans avoir à entamer des démarches longues et parfois opaques. «Il faut faire en sorte que les voyageurs soient mieux informés sur leurs droits pour pouvoir mieux les faire valoir», a défendu Philippe Tabarot.

Une réforme qui ne satisfait ni les compagnies ni les voyageurs

Fini l’indemnisation automatique en cas de retard de trois heures. Le nouveau texte relève le seuil à quatre heures pour les vols intra-européens.
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Malgré ces aménagements, le texte est attaqué de toutes parts. Les associations de consommateurs dénoncent une régression. Flightright, plateforme de défense des voyageurs, a réagi immédiatement : «Ce n’est pas une réforme, c’est un démantèlement ciblé et massif. Si cette version révisée entre en vigueur, jusqu’à 60 % des cas d’indemnisation actuels disparaîtraient», affirme son PDG Jan-Frederik Arnold. Et une perte de chiffre d’affaires pour cette entreprise qui perçoit généralement une commission de 27% (plus la TVA) sur l’indemnisation obtenue.

Autre changement de taille : la liste des «circonstances extraordinaires» permettant aux compagnies d’échapper à l’indemnisation sera élargie. En clair, un problème technique ou une grève interne pourraient demain justifier l’absence de compensation pour le voyageur bloqué.

Mais le compromis n’a pas pour autant satisfait les compagnies aériennes. L’association Airlines for Europe (A4E) regroupant les compagnies Air France-KLM, Lufthansa, Ryanair ou encore easyJet reproche au texte d’introduire «encore plus de complexité» par rapport à la proposition initiale de la Commission européenne.

Prochaine étape : le trilogue

Cet accord politique n’est qu’une étape. Le texte doit désormais passer en trilogue, c’est-à-dire faire l’objet de négociations entre le Conseil, le Parlement et la Commission. Une phase cruciale, car plusieurs eurodéputés se sont déjà insurgés contre la procédure, estimant que le Parlement a été mis devant le fait accompli. Rien ne dit que l’esprit du texte changera, mais la bataille institutionnelle est relancée.

Reste à savoir si ce document, pensé pour clarifier les droits des voyageurs, ne finira pas par leur faire perdre ce qu’ils pensaient avoir gagné : le droit d’arriver en retard… mais dédommagés.