La mer monte, inexorablement. Tel est le constat des scientifiques. En cause: le réchauffement climatique. Conséquences: des villes, des régions, des îles en première ligne, promises à une disparition… Faire face et faire bloc, c’est l’objectif du sommet « Ocean rise & coastal resilience », événement spécial de l’Unoc. Ce samedi, élus côtiers du monde entier ont rendez-vous à Nice, quai Infernet, pour partager des solutions et acter la naissance d’une coalition inédite. Maire de Nice, Christian Estrosi la préside et en détaille les enjeux.
Quels sont les enjeux de ce sommet?
C’est la première fois dans la diplomatie environnementale qu’on associe les territoires. Cette coalition réunit les élus des zones côtières et des îles de la planète, représentants près d’un milliard d’habitants. L’enjeu, c’est répondre à l’élévation du niveau de la mer et ses conséquences. Nous sommes dans un cycle où ce sont bien les activités humaines qui causent le réchauffement climatique, provoquant la fonte des glaciers, donc la montée des eaux. Avec des impacts sur le trait de côte, l’érosion, les submersions, la salinisation des terres, les déplacements forcés… Face à ça, comment agir, être solidaires? Dans le grand débat sur l’océan, les élus des villes côtières sont les acteurs du dernier kilomètre. Ils ont besoin de réponses à la hauteur.
Qui sera autour de la table?
Tous les continents, mais il y a des dictatures que nous ne verrons pas… Avec des séquences fortes: je pense aux îles Tuvalu [Océanie], un État menacé de disparition. Donald Trump ne viendra pas à l’Unoc mais New York, La Nouvelle-Orléans, Santa Cruz seront là… Là où on juge un pays par son régime, les maires arrivent à dépasser ça. C’est la force de cette coalition: sortir de la logique des États dont le multilatéralisme s’est affaibli avec les conflits ici ou là. Jamais une ville n’entrera en guerre contre une autre.
Que vise la charte que vous proposez de signer?
Elle réclame des moyens d’agir, pour disposer d’outils partagés de modélisation, sur notre mode de développement, notre urbanisme. La montée des eaux n’est pas uniforme. La clé, c’est l’adaptation. Pour ça, Nice a pris part au travail de l’Union Européenne pour démocratiser « les jumeaux numériques de l’océan ». Une reproduction virtuelle dynamique modélisée à partir d’un gros volume de données: hauteur des vagues, température, courants, biodiversité, pollution. Des zones défavorisées n’y ont pas accès, la coalition leur permettra.
Comment animer la coalition pour ne pas qu’elle devienne une déclaration d’intention de plus?
Elle sera pérenne. Nice accueillera son secrétariat général permanent, dont j’assumerai la présidence. Nous avons des lieux à faire visiter au secrétaire général de l’ONU… Toute l’année, ses membres échangeront. Avec l’organisation d’un sommet annuel. Le prochain se tiendra à Dakhla, au Maroc.
Bancs de sable artificiels aux Pays-Bas, digues flottantes à Venise, ville éponge en Chine… Quelles solutions s’exposeront au sommet?
Celles-ci seront sur la table. Prenons les Pays-Bas: c’est leur histoire, (un tiers du) pays est construit sous le niveau de la mer. Leur expérience est précieuse. Les scientifiques participeront aussi aux débats pour donner leur expertise. Nous remettrons nos conclusions au gouvernement, avec le besoin d’être aidés.
La Méditerranée française n’est pas épargnée. D’ici à 2050, 2.000 logements seront exposés à l’eau (1). Ne s’y prend-on pas un peu tard?
On a le temps d’agir mais dès maintenant. Jusqu’alors, nos concitoyens pensaient: « Chez moi, ce n’est pas un problème. » La coalition va éveiller les consciences. Et montrer que ce n’est pas la volonté isolée d’un maire quand il détruit un bâtiment pour planter des arbres mais ce que disent tous ces élus du monde.
Des politiques locaux arguent encore que nous ne sommes pas en Atlantique, minimisent…
On n’est pas la zone la plus exposée. Mais Alexandrie, qui a vu ses eaux monter de 40cm en trente ans, est sur la rive d’en face! Là-bas, sur ce qui est la copie de la promenade des Anglais, il n’y a plus de plage sur 6km, ils entassent des rochers pour protéger la voirie. Dans dix à quinze ans, un tiers de la ville peut se retrouver sous l’eau, une réalité qui pourrait être la nôtre à plus long terme. Il y a un devoir d’agir.
La route du bord de mer qui relie Antibes à Villeneuve-Loubet est déjà très vulnérable…
Il faut s’y pencher, la coalition donnera des outils pour le faire. Je ne me permettrais pas de plaquer des solutions. Mais tout est sur la table: une route peut se déplacer, ça peut circuler sous terre… On passe bien sous la Manche, pourquoi pas sous la Méditerranée?
Des PLU autorisent encore des constructions près du rivage. Faut-il être plus coercitif?
Face à la montée des eaux, il faut créer des territoires agiles, capables de réagir. C’était l’idée de la route 6.202 bis, quand vous passez sous le pont de la Manda. Lorsque le lit du Var monte, on la ferme et on dispose d’une autre option.
Pour limiter l’élévation, il faut aussi atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Les villes côtières doivent-elles montrer l’exemple?
Une grande ville qui émet beaucoup en fera subir les conséquences aux littoraux. J’envisage d’élargir la coalition aux grandes agglomérations, notamment très industrielles. Les politiques de mobilités sont aussi cruciales. Une quarantaine de croisières en Méditerranée émettent plus de particules fines que toute la flotte européenne de voitures. On ne peut plus se permettre ça. Mais il faut faire un calcul global. Qu’est-ce qui pollue le plus? Une unité de 350m qui transporte l’équivalent de 60km de poids lourds ou ces camions diesel sur nos routes? Dans les Alpes, on pourrait libérer Vintimille, les tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc en créant des autoroutes de la mer aux conditions écologiques strictes. Je suis aussi plutôt pour une taxe carbone.
Y compris pour les avions, alors que l’aéroport de Nice va s’étendre?
On me parle sans cesse des aéroports. Mais la technologie qui évolue le plus sur la baisse de l’empreinte carbone, c’est celle de l’aviation.
On reste toutefois loin de l’avion propre…
Les avions de dernière génération émettent 30 à 40% de CO2 de moins. L’aéroport de Nice sera neutre en carbone en 2050.
Uniquement ses bâtiments, n’est-ce pas?
C’est un tout. Jusqu’au 1er septembre 2022, il n’y avait pas de gare le desservant. Aujourd’hui, elle y est, avec le tramway. Il faut trouver un juste équilibre pour ne pas porter atteinte à l’attractivité économique.
D’ici à 2100, 280 millions d’habitants des côtes devront partir, selon l’ONU. Comment leur venir en aide alors que les politiques anti-immigration progressent, notamment en France?
Il faut leur permettre d’aller plus loin. Exemple: Jakarta [Indonésie] où 15 millions de personnes vont être déplacées. Mais il ne faut pas que ça soit un encouragement à de grandes migrations qui déséquilibrent des sociétés tout entières. La coalition régulera aussi ça.
Nice accueillera le secrétariat général de la coalition des villes et des régions côtières que préside Christian Estrosi.
Photo Frantz Bouton.