« En terminale, on m’a dit qu’il fallait choisir quelque chose », raconte Rafaël. « Je parlais bien anglais, donc voilà… Mais je ne suis pas super fan de tout ce qui est littérature et histoire. » Lorsqu’il s’inscrit en première année de licence à la fac d’anglais de Lille, le jeune homme ne sait pas vraiment ce qu’il veut faire, que ce soit sur le plan universitaire ou professionnel.

Une orientation par défaut, qui ne lui convient pas vraiment. Selon une enquête sur le décrochage universitaire menée par l’Observatoire de la Direction des Formations de l’Université de Lille (Odif), Rafaël est loin de faire exception. Un quart des inscrits intègre une L1 de Langues, littératures et civilisations étrangères et régionales (LLCER) ou de Lettres modernes sans intention d’obtenir leur licence.

10% de décrochage en L1 d’anglais et de lettres modernes

Ces deux filières enregistrent des taux d’abandon record : le décrochage concerne ainsi « environ 10% de la population des inscrits en première année de licence d’anglais et de lettres modernes en 2023-2024 à l’Université de Lille », toujours selon l’étude de l’Odif. D’après Philippe Vervaecke, le doyen de la fac de Langues, « on observe beaucoup de décrochage dans les premières semaines, puis au début du deuxième semestre, quand les étudiants se rendent compte qu’ils ne valident pas le premier ».

Pour lutter contre ce phénomène, la faculté a, depuis un an et demi, mis en place « Parcours de Réussite ». Le projet, initié avec la Mission locale et l’École de la deuxième chance, est financé par la préfecture du Nord. Il vise dans un premier temps à repérer les décrocheurs pour mieux les aider. « Les équipes pédagogiques suivent l’assiduité des groupes de première année grâce à des listes d’émargement », explique Philippe Vervaecke. « Ça permet déjà de faire un premier tri. Avec, d’un côté, les ‘décrocheurs’, qui sont fragilisés mais qui font tout de même des efforts pour assister aux cours ou encore faire des tests de positionnement. Et de l’autre, les ‘non-accrocheurs’ qui ne viennent pas du tout. »

Avec ce nouvel outil, l’Université de Lille 3 entend développer des passerelles vers d’autres formations (BTS, prépas), aider les étudiants à se réorienter au sein de la fac, ou à trouver un emploi s’ils arrêtent leurs études. « L’objectif est qu’ils retombent sur leurs pattes », sourit le doyen.

Un accompagnement individualisé

Laurence Mazet, chargée de projet sur le décrochage universitaire à la Mission Locale de Lille, est l’interlocutrice privilégiée des étudiants d’anglais et de lettres modernes qui bénéficient de ce nouveau service. « Je cherche des solutions individualisées, directement avec l’Université, pour les aider. »

Elle accompagne ainsi Rafaël. « Quand je suis arrivé à la fac sur Lille, c’était vachement nouveau. Alors lorsque Laurence est venue nous parler du dispositif en classe, j’ai tout de suite pris rendez-vous. » Avec elle, il fait le point « sur [ses] études et sur [ses] projets professionnels en dehors de la fac ». Elle lui indique comment se rapprocher du service réorientation. Une semaine après la rentrée, il change de filière – il opte pour une L1 de théâtre.

« L’un de nos objectifs est aussi d’aider les étudiants les plus fragiles »

Philippe Vervaecke, doyen de la faculté de langues de Lille

À la fin de l’année universitaire, Rafaël souhaiterait se réorienter à nouveau. Là aussi, le dispositif Parcours de Réussite est une aide précieuse pour le jeune homme : « J’ai parlé à Laurence de mon projet de partir plutôt en filière cinéma. Elle m’a donné les options possibles et elle m’a dit que je pourrais peut-être passer en L2 directement. On va voir ça ensemble lundi [à l’occasion de leur cinquième rendez-vous, NDLR]. » Elle l’aidera aussi pour ses démarches sur Parcoursup.

La majorité des jeunes qui abandonnent leurs études parlent d’une erreur d’orientation : pour 70% des concernés, le contenu de la formation ne correspondait pas, ou plus, à leurs attentes. Dans 48% des cas de décrochage, un ou plusieurs problèmes personnels sont également évoqués. C’est pourquoi le rôle de Parcours de Réussite ne s’arrête pas aux conseils d’orientation.

« L’idée, c’est d’accompagner les étudiants sur des problématiques sociales, de logement, de santé mentale ou physique, ou encore sur comment se repérer à l’université, trouver une alternance, des informations sur la mobilité internationale », explique Laurence Mazet.

Elle dispose de « plages d’urgence » avec les assistantes sociales du Crous, pour obtenir des rendez-vous rapides. Elle fait aussi le lien avec le secrétariat pour les problèmes administratifs. « L’un de nos objectifs est aussi d’aider les étudiants les plus fragiles », précise Philippe Vervaecke. À savoir : les boursiers, ceux issus de milieux précaires ou encore avec des parents et des frères et sœurs qui n’ont pas fait d’études.

Une aide pour trouver un job étudiant

Pour Joyce, 20 ans, l’aide du dispositif a été déterminante. Étudiante en deuxième année de LLCER anglais, elle a été accompagnée par Laurence pour sa recherche d’emploi étudiant – crucial pour de nombreux jeunes en situation de précarité.

« Elle prenait souvent de mes nouvelles par mail ou SMS et s’est montrée très gentille et encourageante »

Joyce, étudiante à Lille qui a bénéficié du dispositif Parcours réussite

« Je suis boursière mais malgré tout, je voulais être plus à l’aise à la fin du mois. Et comme j’ai le projet de faire un séjour à l’étranger, j’avais besoin d’économiser. » Une fois par mois, elle a rendez-vous avec la chargée de projet. Aide pour refaire son CV, simulation d’entretiens à la Mission locale… Laurence Mazet lui donne des conseils, fait des recherches pour elle et envoie même son CV à des recruteurs. Grâce à elle, Joyce décroche un job de garde d’enfants. « La vie étudiante est déjà très stressante… Ce job, ça m’enlève de la pression financière des épaules », estime-t-elle.

Parmi les 65 jeunes qui ont bénéficié du programme en 2023-2024, quinze ont trouvé un emploi grâce au dispositif. Pour l’année 2024-2025, Laurence Mazet accompagne 57 personnes.

Joyce a été rassurée par ses échanges avec la chargée de projet. « Elle prenait souvent de mes nouvelles par mail ou SMS et s’est montrée très gentille et encourageante », raconte la jeune femme. « J’avais vraiment l’impression d’un soutien très personnalisé, ce que j’ai beaucoup apprécié. » Une chance pour les bénéficiaires : selon l’enquête sur le décrochage universitaire de l’Odif, en 2023-2024, seulement 57% des étudiants savaient identifier les personnes-ressources en cas de problèmes liés à leur formation. « Mon rôle apporte de l’humain dans tout ce flux d’informations numériques qui existe à l’Université », estime Laurence Mazet. « Et certains en ont besoin ! »