« Bonjour, je représente les ayants droit de Raymond Moretti. Auriez-vous un instant à m’accorder ? »
Au bout du fil, la voix articule un récit étonnant. Une histoire à trous. « Il y a plusieurs décennies, des collaborateurs de Nice-Matin ont sollicité le peintre pour réaliser un portrait de leur p.-d.g., Michel Bavastro. Ils souhaitaient lui en faire cadeau. Mais, pour une raison indéterminée, ils ont annulé leur commande et l’œuvre n’a jamais été terminée. »
L’huile sur toile (100 x 80 cm) est restée dans le fonds familial. Marie-France Moretti, la veuve du peintre, l’a prêtée pour diverses expositions. Avant de décider, en avril 2025, d’en faire don au journal qui a toujours soutenu son époux.
C’est dans nos colonnes, en effet, qu’est paru le premier papier sur le créateur azuréen. Moretti était alors apprenti boulanger à Nice. Le garçon de 16 ans avait peint, sur un drap subtilisé à sa mère, un Moïse… bientôt acheté par le Musée des Beaux-Arts de Jérusalem.
Bluffé par le talent de cet adolescent, le journaliste Mario Brun n’avait pas lésiné sur les superlatifs : « Le nouveau Michel-Ange est un jeune Français ! »
Nice-Matin, dès lors, a suivi pas à pas la carrière météorique du Niçois, qui l’a conduit de la Tour de la Défense à Paris au Capitole de Toulouse, en passant par la grande synagogue de Jérusalem.
« Je n’avais pas les moyens de mettre au pot pour mon patron »
Autour de ce portrait de Michel Bavastro, plusieurs questions demeurent : à quelle époque a-t-il été peint ? Qui l’a commandé ? A quelle occasion ?
Sur le premier point, les traits du sujet suggèrent que le tableau a été réalisé dans les années soixante ou soixante-dix. Sur les commanditaires, Marie-France Moretti lâche les noms de quatre journalistes : Mario Brun, Charlie Buchet, André Lucchesi et Maurice Huleu.
Les trois premiers sont décédés. Le quatrième n’a gardé aucun souvenir de cet épisode.
« C’est tout de même très surprenant, glisse l’ancien grand reporter. À l’époque, je n’avais pas les moyens de mettre au pot pour faire un cadeau au patron ! En supposant que Moretti, qui était un ami, ait songé à se faire rémunérer pour ce travail – ce dont je doute sincèrement. J’ai côtoyé Raymond jusqu’à son décès [le 2 juin 2005, Ndlr] : il ne m’a jamais parlé de cette affaire. »
On n’en saura probablement jamais davantage. La toile, inachevée, n’a été ni signée ni datée. Ceux qui l’ont vue ont été frappés par le regard hyperréaliste de celui que ses employés surnommaient le Cobra : « Un peu comme s’il était toujours là pour nous surveiller… »
Cette toile inachevée de Raymond Moretti représente le patron historique de « Nice-Matin », Michel Bavastro. Repro Frantz Bouton.