A-t-on des raisons solides de penser que la planète Neuf existe vraiment ?

Les indices s’accumulent, mais il y a des contradictions. Si on cherche la meilleure planète possible pour rendre compte des observations, on trouve une planète qui est relativement proche du Soleil, mais qui est catégoriquement exclue par le fait qu’on ne voit aucune perturbation sur Saturne, dont on connaît la position avec 100 mètres de précision. Donc, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

D’un autre côté, il y a ces nouveaux résultats, auxquels j’ai contribué, sur la distribution des périhélies (points de trajectoire les plus proches du Soleil, NDLR) des Centaures : on trouve des distributions complètement différentes selon que cette planète existe ou pas, et les observations sont clairement semblables au cas où la planète existe. Même moi, je ne sais pas trop quoi penser. Il est possible que des biais observationnels et les statistiques de petits nombres nous jouent des tours. L’histoire n’est pas encore pliée.

« Mais le fait qu’ils n’aient trouvé que du bruit, cela ne signifie pas que la planète n’existe pas ! »

Récemment, une équipe asiatique semble avoir trouvé une possible candidate : qu’en pensez-vous ?

Ça a l’air très prometteur jusqu’à ce qu’on regarde leurs données. Je viens de le faire avec un collègue tchèque spécialisé dans l’observation dans l’infrarouge, et leur deuxième détection n’est vraiment pas convaincante. On est très perplexes : ils appellent ça une détection, pour nous, c’est du bruit. De toute façon, détecter deux points à la bonne distance, ça ne veut pas dire grand-chose, parce qu’on peut avoir dans le ciel des phénomènes lumineux transitoires. Les gens qui cherchent des astéroïdes, par exemple, savent bien que pour avoir une certitude, il faut quatre ou cinq détections qui s’alignent bien, avec le bon intervalle temporel. Là, il n’y en a que deux. Même les auteurs de cet article l’admettent. Mais le fait qu’ils n’aient trouvé que du bruit, cela ne signifie pas que la planète n’existe pas !

Pourquoi est-il si difficile de la détecter ?

Parce qu’elle est très loin. La planète doit se trouver aujourd’hui à plus de 600 ou 800 UA (Unité astronomique, soit la distance Terre-Soleil), autrement on verrait des perturbations sur le mouvement de Saturne. Évidemment, si elle est très loin, elle est très faible. Quelle est la luminosité ? Difficile à dire, parce que cela dépend de sa masse, mais aussi de ses propriétés physiques. Est-ce qu’il y a de l’atmosphère ? À ces températures hyper basses, on n’en sait rien. Est-ce qu’il y a des nuages ? En plus, il y a des champs stellaires derrière, c’est une planète qui se déplace très lentement, on peut la confondre avec un objet fixe.

« Peut-être que le nouvel observatoire Vera Rubin pourra résoudre le problème elle-même, peut-être pas »

Donc le fait que cette planète n’ait pas été détectée n’est pas particulièrement étonnant. Maintenant, il y a ce nouvel observatoire, Vera Rubin, qui va permettre de faire une recherche systématique du ciel. Donc on devrait la voir, du moment qu’elle est plus brillante que la magnitude limite de Vera Rubin. Mais on va aussi pouvoir modéliser les biais de façon rigoureuse, parce que pour l’instant l’hypothèse découle de l’observation d’un petit nombre d’objets. D’ici quelques années, on pourra vraiment dire s’il y a une distribution qui n’est pas isotrope (dans toutes les directions, NDLR). Si c’est le cas, il n’y aura pas mille solutions : il y a une planète. Après, il faudra la trouver. Peut-être que Vera Rubin pourra résoudre le problème elle-même, peut-être pas.

On a l’impression que l’hypothèse d’une neuvième planète divise aussi fortement les astronomes…

La communauté scientifique est un peu polarisée. Il y a des groupes qui sont fortement opposés, comme Jean-Marc Petit avec ses collègues au Canada, d’autres farouchement convaincus. Entre les deux, la plupart des astronomes sont sceptiques, mais je dirais que c’est une attitude naturelle dans la communauté scientifique. Mon opinion personnelle, c’est que la planète Neuf existe à 75 %. Moi, je vois plutôt le verre aux trois quarts plein. Mais, après avoir donné un cours à Prague et exposé tous les arguments, j’ai fait voter l’assistance qui a trouvé le verre aux trois quarts vide. On en est là !