« Galette saucisse je t’aime, j’en mangerai des kilos, dans toute l’Ille-et-Vilaine, avec du lait Ribot. » Vous l’avez dans la tête ? Certains supporters du Stade rennais beaucoup moins. Ces dernières années, une partie de la tribune basse Ouest-France (ex-Mordelles), fief des ultras du Roazhon celtic kop (RCK) a pris un virage nettement moins bon enfant. Le dernier match Rennes/Nantes, le 18 avril, en atteste.
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Premier acte à la fin de la première mi-temps de ce derby des capitales de la Bretagne. Une quinzaine d’ultras espagnols, invités par des supporters rennais, vêtus de noir, débarquent en bas de la tribune. Sur les photos postées sur les réseaux sociaux, ils posent derrière le blason des Ligallo ultras, un groupe espagnol classé à l’extrême droite. Certains font le signe à trois doigts – kühnen – une version moins ostentatoire du salut nazi, qui symbolise le troisième Reich.
Boneheads
Pourquoi le RCK a-t-il laissé entrer ces individus ? Dans un communiqué, le groupe rennais parle de gestes « inacceptables ». Il indique que la tribune était alors quasiment vide et qu’ils n’ont eu connaissance des clichés qu’une semaine après la rencontre. Les photos ont été prises alors que les travées du Roazhon park étaient clairsemées. Mais cela n’explique pas comment des individus cochant toutes les cases des codes « boneheads » (crânes rasés, cagoules, bombers…) ont pu rester dans la tribune sans une once de protestation.
Le deuxième acte se déroule à l’issue du match. Un groupe d’environ 120 individus rejoignent la cité des Ducs pour en découdre avec 70 supporters du groupe ultra-local de la Brigade Loire. Un combat déséquilibré qui tourne à l’avantage des Rennais, bien aidés par leurs amis espagnols.
La matrice commune : le virilisme, incarné par le culte de la baston.
À la buvette
Qu’en pensent les supporters rennais, plus habitués aux chansons potaches qu’aux « fight » entre hooligans ? À la buvette du groupe de supporters Allez Rennes, ce dernier fait d’armes est considéré comme un énième épisode de l’évolution d’une partie du kop : « Qui vend les billets pour entrer en tribunes ? Quand vous avez des brebis galeuses dans votre groupe, vous les dégagez », peste Marcel Géraux, président du groupe de supporters. Et un camarade d’enchaîner : « Plusieurs anciens du RCK nous ont rejoints parce que la mentalité a changé. » Une mentalité qui conjuguerait une idéologie parfois proche de l’extrême droite et une appétence pour le hooliganisme. La matrice commune : le virilisme, incarné par le culte de la baston.
ADN antifasciste
Combien de personnes cette mouvance représente-t-elle à Rennes ? Selon plusieurs supporters d’Allez Rennes, il y aurait une cinquantaine de « brebis galeuses » en tribune Mordelles – sur 500 supporters encartés au RCK. L’estimation est confirmée par d’autres sources au fait du sujet. Certes, des groupuscules d’extrême-droite – Unvez Kelt, Breizh stourmers…- ont toujours existé. Ils étaient tolérés dans la tribune en raison de leur nombre négligeable, soit une quinzain ; mais ils ne mouftaient pas. Les Breizh stourmers ont même été dégagés du kop à la fin des années 2000.
À l’époque, l’antifascisme était dans l’ADN du RCK. Le groupe filait la parfaite idylle avec les Joyriders de Sochaux, estampillés à gauche, et la Horda de Metz, dont certains arboraient un look « redskin », à l’opposé des skinheads d’extrême droite. En 2011, à l’occasion de la réception du Celtic Glasgow, le RCK avait même déployé une banderole « Celtic people against racism ». Afficher des convictions de droite était alors impossible dans le kop. « Je me souviens d’un déplacement en bus vers le Stade de France en 2009 avec les supporters. L’un d’eux m’a confié très discrètement avoir voté Sarkozy et m’a dit de ne pas le répéter comme s’il avait honte », sourit Benjamin Keltz, journaliste, supporter du Stade rennais et auteur d’un livre sur le sujet.
Futur candidat RN
Il y a quinze ans, il n’était pas rare de voir des ultras porter des fringues estampillées Sankt-Pauli, le club de Hambourg à l’identité antifasciste et anticapitaliste, raconte le journaliste. Dans les années 2010, difficile d’imaginer alors, qu’un futur candidat du RN aux législatives 2024 à Pontivy deviendra l’un des piliers du kop. Pourtant, plusieurs photos montrent Antoine Oliviero animer la tribune Mordelles en 2018. Le militant affichait-il déjà ses opinions politiques ? Impossible à vérifier. Contacté, le RNJ56 n’a pas donné suite.
Quand une petite partie du kop a-t-elle commencé à basculer ? La naissance du groupuscule Roazhon 1901, en 2016, semble avoir marqué un tournant. Étiqueté à l’extrême droite par le média en ligne Streetpress2, le groupe a impacté la mentalité d’une partie du kop, estiment toutes nos sources. « On voit le Roazhon 1901 comme une franchise qui a su se rapprocher et se rendre indispensable pour le RCK, décrypte Fanch*, du groupe antifasciste Gwened antifa crew. Cela n’a pas été le cas pour les Unvez Kelt et les Breizh stourmers. L’infiltration du Roazhon 1901 a bien mieux marché que l’opposition frontale des Breizh Stourmers. »
Ratonnade rue de la soif
Dans les années 2000, ces derniers n’ont eu de cesse de ridiculiser le RCK dans des vidéos publiées sur des plateformes. Il était présenté comme incapable de rivaliser dans les « fight » contre les rivaux, notamment nantais. La convergence Roazhon 1901-RCK a-t-elle eu une visée « stratégique », pour « sauver l’honneur » des Rennais ? « Il est évident que certains ultras du RCK s’appuient sur le Roazhon 1901 pour peser face aux supporters adverses », tranche Yoann*, ancien sympathisant du RCK parti dans une autre tribune.
Quand une petite partie du kop a-t-elle commencé à basculer ? La naissance du groupuscule Roazhon 1901, en 2016, semble avoir marqué un tournant. (Nicolas Creach)
À Rennes, le premier fait majeur de violence se déroule le 27 janvier 2017, à la veille d’un derby Rennes/Nantes. Une quarantaine de personnes, dont des membres de l’éphémère groupe néo-nazi du Gud Bretagne, orchestrent une ratonnade rue de la Soif. Saluts nazis, bastons à coups de table. Leur cible ? Les noctambules de la rue Saint-Michel, considérés comme des « gauchistes ».
Une chose est sûre, l’épisode a, pour la première fois, semé l’idée que le RCK pouvait évoluer.
Des sympathisants du RCK étaient-ils présents ? Si l’hypothèse n’a jamais été confirmée, toutes les informations convergent pour pointer la participation de supporters du kop et d’anciens Breizh stourmers. Une chose est sûre, l’épisode a, pour la première fois, semé l’idée que le RCK pouvait évoluer. « L’histoire change, concédait, fataliste, un ancien capo (animateur) du kop dans une enquête du Mensuel, parue en avril 2017. Le milieu des supporters est un milieu de suiveurs. »
Hooligans et influenceurs
Huit ans après, la bulle ne s’est pas dégonflée, au contraire. Après la crise sanitaire, les hooligans rennais n’ont cessé de diffuser des images de combats sur les pages spécialisées, parfois en compagnie de groupes néo-nazis comme les ultras du Dynamo Kiev. Des figures d’« influenceurs » ont émergé, tel que Maxime Bellamy, alias Orsu Corsu. Ouvertement néo-nazi, ce militaire de son état est réputé dans les milieux du freefight et identitaire. Ancien militant à l’Action française Rennes – devenue Oriflamme —, il est suivi par plus de 36 000 personnes sur Instagram. Il y raconte notamment avoir fait ses armes avec les « hooligans du Stade rennais » du Roazhon 1901.
Derrière l’officine Roazhon 1901 se cachent plusieurs groupuscules indépendants dont les liens avec l’extrême droite sont avérés. (Nicolas Creach)
Derrière l’officine Roazhon 1901 se cachent plusieurs groupuscules indépendants dont les liens avec l’extrême droite sont avérés : Jeunesse Roazhon, Celtic brothers, Gwad Roazhon… Chacun revendique, dans ses visuels, une filiation avec le RCK. Ainsi, plusieurs stickers de Gwad Roazhon, proche, selon plusieurs sources concordantes, de l’Oriflamme, sont affichés sur le fronton du local du groupe ultra, sans que les cadres de ce dernier ne trouvent à y redire. Bon an mal an, le RCK se borne à revendiquer son « apolitisme ». Un positionnement systématiquement brandi par d’autres groupes de supporters proches de l’extrême droite tels que les Bad Gones à Lyon. Certes, il reste « beaucoup de gens de gauche dans le kop, nuance Yoann. Une personne racisée peut venir sans problème en Mordelles. Nous ne sommes pas à Lyon ».
Miroir déformant
Reste que le phénomène touche de plus en plus de stades, dont certains, comme Rennes, que l‘on pensait imperméables aux idéologies identitaires. « Les stades sont un miroir déformant de notre société, analyse Sébastien Louis, historien et sociologue dans So Foot (mai 2025). Il y a d’ailleurs quelque chose d’assez paradoxal à observer l’indignation que peuvent susciter les dérapages racistes dans les stades, quand, dans le même temps, la société tolère de plus en plus la diffusion d’idées ouvertement xénophobes dans l’espace public. » Des idées qui prospèrent particulièrement chez les jeunes. « À Rennes, qui reste une ville clairement marquée à gauche, le changement de génération opéré au sein du RCK dans les années 2010 a semble-t-il ouvert la voie à des individus proches de la mouvance identitaire », poursuit l’universitaire.
Leur motivation ? Selon plusieurs supporters interrogés, certains jeunes auraient basculé car ils ne supportaient plus que leur ville soit saccagée par des militants d’extrême gauche en manifs. De quoi inquiéter le Stade rennais ? Le club a en tout cas vivement condamné les événements d’avril et ouvert une enquête. Il faudra bien ça – et quelques galettes saucisses — pour redorer le blason des Rouge et noir.