Du 9 au 13 juin, au moins 100 délégations internationales, dont une cinquantaine de chefs d’État ou de gouvernement, sont attendues sur la Côte d’Azur pour cinq jours de débats.

Qu’attend un scientifique d’un sommet comme celui de Nice ?

Je suis allé à plusieurs conférences de ce type. C’est bien de sensibiliser le grand public, mais ce n’est pas notre place et je n’irai pas cette fois. Ma place est plus auprès des écoles et des cadres de la fonction publique que nous formons. Les conférences internationales sont de la politique. L’événement scientifique qui a précédé ce sommet est toutefois important et j’espère que les recommandations qui en sortent seront suivies. J’avais remis en 2008 un rapport pour un programme des Nations unies. Où j’expliquais déjà les effets du réchauffement climatique sur des indicateurs marins comme les gorgones. Il y a vingt ans, les pollutions créaient quelques nécroses en haut des branches. Aujourd’hui, elles sont complètement mortes à cause des vagues de chaleur sous-marines. On a parlé de la résilience de la nature au moment du Covid, mais on l’a oubliée comme un chagrin d’amour de maternelle.

En quoi la biodiversité marine vous surprend-elle encore ?

J’ai eu la chance de travailler partout dans le monde et de m’émerveiller. Mais ce que je vois chez moi est fascinant. La Méditerranée recèle 10% de la biodiversité marine mondiale. Au large de Marseille, à 35 mètres de fond, on se croit à l’autre bout du monde. Pourtant, on sait que ce qui s’est passé en Grèce, où les gorgones sont mortes à moins de cent mètres de profondeur, va arriver ici. En ce moment, on voit les choses évoluer d’une année à l’autre. J’ai été obligé il y a deux ans d’écrire le mot ‘extinction’ en parlant des éponges. Je ne pensais jamais le faire. C’est terrible, parce que ces anomalies climatiques ne sont pas perçues par le grand public. Depuis fin des années 90, elles se multiplient. On voit revenir les corbs, les mérous et les barracudas dans le parc national des calanques. Mais on voit mal que certaines espèces disparaissent.

Quelles sont les conséquences ?

Le problème, c’est qu’on sait encore peu de choses. Quand on parle de disparition de récif corallien, il s’agit en fait de certaines espèces. Mais elles sont des nurseries pour les poissons, parce qu’elles sont comme des forêts. On parle parfois d’incendies marins. Ce sont les mêmes conséquences. On parle aussi de risque pour la captation du carbone. Ces espèces marines filtrent l’eau et la rendent disponible pour la biodiversité. Certaines éponges aident les organismes à faire de la photosynthèse. On a même trouvé plus étonnant il y a six mois.

Ici, à Marseille ?

Oui, nos équipes de chercheurs ont montré dans une étude reprise dans la revue Nature, notamment, que ces organismes forment aussi un paysage chimique sous l’eau. Les molécules exsudées aident à orienter les espèces marines. C’est un peu comme des fleurs qui attirent des pollinisateurs. La reproduction d’une algue se ferait avec l’aide de crustacés qui sont les abeilles de la mer. Les crevettes et le krill fonctionnent comme les abeilles. Ils sont de la même famille. Si une vague de chaleur perturbe leur paysage chimique, elle affecte les comportements migratoires, car elles sont à la base de chaînes alimentaires et transportent de la matière organique. On sait aussi que les éponges sont capables de dégrader des pollutions, d’absorber les PCB qui deviennent attaquables par les bactéries. Elles séquestrent les métaux. J’ai fait manger du plastique à des éponges. Elles avalaient des billes de latex et les détruisaient. Ce qui signifie que si on réduit les pollutions, la nature peut faire le reste.

Mais ce n’est pas le même problème avec le réchauffement climatique…

Non parce que ces conséquences sont irrémédiables. Le réchauffement est la suite logique de l’industrialisation. La nature fait ce qu’elle peut, mais elle ne refera pas ce qui est détruit. Quand on dit faire de la restauration écologique, on ne le fait pas en vérité. On le fait en coulant du béton ou en mettant des structures métalliques sous l’eau. Si on réduit les nuisances, la nature reprendra parfois ses droits, mais sans être comme avant. Ce qui se passe dans le parc des calanques est merveilleux, mais n’a rien à voir avec ce qui existait il y a cent ans.