« Les voix citoyennes ont si peu d’espace pour s’exprimer lors du sommet. Dans ce grand bain diplomatique à huis clos, cette manifestation, c’est notre moment », scande Marcello, venu de Lisbonne. Rodé par l’Unoc-2, en 2022, le militant portugais a emboîté le pas aux quelque 950 participants de la marche bleue.

Samedi 7 juin 2025, entre 17 et 19h, au cri de « Protégeons l’océan, protégeons la vie », le cortège a relié Lenval à la plage du Centenaire, sous l’égide d’un collectif d’organisations non gouvernementales [Seas At Risk, Oceana, Surfrider Europe, Birdlife, ClientEarth et WWF, soutenu par plus de 140 organisations] ayant signé le « Manifeste Bleu, une feuille de route vers un océan en bonne santé d’ici 2030 ».

Ambiance festive et militante

Après avoir marché au rythme du joyeux charivari d’une batucada nissarde, la foule s’est laissée chavirer par le chahut des Seabed Slayers. Hurlant « if ocean dies, we will die » (si l’océan meurt, nous mourrons), le groupe néerlandais de heavy metal a parfaitement illustré l’ambiance de la manifestation: à la fois bon enfant et rageuse, festive et engagée, sans heurts mais pas sans heurter.


« Seabed Slayers », groupe d’heavy metal, lors de la marche bleue, sur la Promenade des Anglais, en marge de l’UNOC, à Nice, le 7 juin 2025. Photo Sébastien Botella Sébastien Botella / Nice Matin.

Aux légers pas de danse se sont ainsi succédé les discours graves et alarmants. L’Hawaïen Uncle Sol a plaidé pour la préservation des fonds marins du Pacifique, rendus vulnérables par la « prédation des sociétés minières, prêtes à ravager de manière irréversible des écosystèmes protégés ».

Peu avant, c’était Louise Guillaumat, de SOS Méditerranée, qui montait au créneau: « Avec la montée des eaux, l’immigration va s’amplifier dans les années à venir. Privés de terres, des millions de personnes vont devoir s’exiler. »

La multitude militante n’était pas en reste avec ses slogans choc: « Aires marines protégées mais pillées », « 70% des poissons que nous mangeons contiennent du plastique », « la vie de nos enfants vaut infiniment plus que vos profits. »

Mention spéciale aux Britanniques d’Ocean Rebellion, branche maritime d’Extinction Rébellion, qui ont déroulé une impression sérigraphique de 150mètres. Soit l’équivalent, en largeur, de la taille des grands chaluts de fond. « En ratissant les fonds marins, ces navires usines attrapent indistinctement toutes les espèces, même protégées », alerte Suzanne, venue de Londres.

Des Niçois qui ne se sentent « plus seuls »

La présence massive de manifestants étrangers a donné du baume au cœur aux militants niçois. « Ça parle espagnol, français, anglais, allemand, il y a des médias, des délégations du monde entier », s’émerveille Jade, « plutôt habituée aux modestes manifestations locales » réunissant rarement plus d’une centaine de personnes.

« C’est rassurant de voir qu’on n’est pas seuls à se mobiliser. Que d’autres, aussi, ont pris conscience du danger », glisse Sylvie, sourire doux-amer. « Sur la Côte d’Azur plus particulièrement, il y a une énorme passivité de la population. »


La bannière d’Ocean Rébellion, dénonçant le chalutage de fond, lors de la marche bleue, sur la Promenade des Anglais, en marge de l’UNOC, à Nice, le 7 juin 2025

Regard mi-amusé mi-désabusé sur les cohortes de plagistes profitant de la Méditerranée à 22°C. Interrompus dans leur bain de soleil par le boucan des slogans, quelques-uns dressent la tête et leurs smartphones. « Pour nombre de touristes, notre territoire est une carte postale », estime Gaëtan, jeune varois « qui préfère malgré tout positiver »: « La venue d’autant de nationalités nous permet de rappeler la fragilité de nos côtes. C’est aussi l’occasion d’étoffer nos réseaux militants, de partager nos pratiques, comme une sorte d’Internationale des océans. »

Des participants du monde entier

Ils ont traversé la planète pour crier leur indignation sur la promenade des Anglais. Wawana et Luene ont quitté l’Amapa brésilienne, région frontalière de la Guyane française, pour porter la voix des peuples indigènes de l’Amazonie. « De nouveaux forages offshore ont été votés par des députés proches de l’ancien président Jair Bolsonaro. C’est une catastrophe pour nos côtes. En un an, il y a eu plus de 73 accidents d’exploitation, entraînant des marées noires irréversibles. »

Dans la forêt de pancartes, il y avait aussi celle de Mbacké Seck, interpellant l’Union Européenne dont « les chalutiers pillent les ressources halieutiques du Sénégal ». Le Dakarois estime à « 43% la baisse du nombre de poissons » dans les filets des pêcheurs artisanaux.

Un métier toujours plus difficile à exercer, même à l’autre bout de l’océan. En témoigne Thomas Ayalla, « pescador », au large de Culebra, petite île de Porto Rico. « Dans les Antilles, l’érosion ravage nos côtes, faisant disparaître l’immense biodiversité qui fait vivre nos ancêtres depuis des siècles. Aujourd’hui, à Nice, je vois que je ne suis pas le seul à vouloir sauver cet héritage pour le léguer à mes enfants. »