L’expérience est envoûtante. Depuis le 10 mai jusqu’au 21 septembre 2025, l’océan s’invite dans la chapelle de l’Oratoire. Le musée d’Arts de Nantes présente ainsi « Dunking Island », de Capucine Vever. Une œuvre immersive, composée de six écrans et d’un dispositif acoustique multi-canal, au sein de laquelle le visiteur est invité à déambuler. Trente-cinq minutes de plongée dans la baie de Dakar, au Sénégal, où le spectateur se retrouve au cœur de la dérive d’une embarcation sur l’Atlantique, aux abords de l’île de Gorée. Ici la montée des eaux menace inexorablement l’île et son histoire, celle du commerce triangulaire et de la traite de l’Atlantique, intimement liée à celle de Nantes.
L’exposition Dunking Island, de Capucine Vever, dans la Chapelle de l’oratoire du Musée d’Arts de Nantes. Photo Presse Océan-Thierry Butzbach
« J’ai rencontré des océanographes, des historiens, des pêcheurs »
Lorsque j’ai découvert l’installation de Capucine en 2022, je me suis dit qu’elle devait absolument venir ici , raconte Patrice Joly, directeur artistique du centre d’art contemporain nantais Zoo, et co-commissaire de l’exposition avec Marie Dupas, du Musée d’arts.
La plasticienne de 39 ans a mis de longs mois à adapter son œuvre à l’espace de la chapelle. Le projet est venu à moi dans le cadre d’une résidence à Dakar, proposée par l’agglomération Grand Paris Sud en 2020. L’idée, avant que le confinement n’arrive, était d’aborder la problématique de la montée des eaux sur le littoral sénégalais , souligne Capucine Vever. Et puis la Pantinoise (en Seine-Saint-Denis) a découvert cette île de Gorée minuscule avec une histoire immense . Point d’organisation de la déportation des esclaves vers les colonies, elle est aujourd’hui grignotée peu à peu par l’océan.
Dunking Island, évoque aussi la problématique des pêcheurs, au musée d’Arts de Nantes. © ADAGP, Paris, 2024 / Capucine Vever
J’ai cherché comment parler de la plus juste manière de ce phénomène climatique, qui n’a pas de visibilité, puisqu’il se joue en dehors du temps du regard. À l’époque où j’y étais, on parlait quand même d’une montée de 3 à 4 mm par an. C’est ainsi que m’est venue l’idée de mettre la caméra dans l’eau , se souvient-elle.
Pour ce projet qu’elle a mis plus de deux ans à finaliser, l’artiste a dû apprendre la plongée. On a filmé en lumière naturelle, durant un mois, avec des sessions de deux plongées par jour à plus de 10 m. Au cours d’une résidence de 3 mois au Sénégal en 2021, elle a aussi été à la rencontre des personnes qui vivent et traversent le territoire : J’ai rencontré des historiens de Gorée, des océanographes de l’Institut de recherche pour le développement, mais aussi des associations de pêcheurs pour comprendre la menace sur la pêche artisanale. Finalement, mettre la caméra dans l’eau a ouvert le sujet à d’autres problématiques, notamment celui de la surpêche ou du tourisme de mémoire, important à perpétuer, mais qui attire 500 000 visiteurs par an, avec la pollution qui va avec.
Capucine Vever, artiste dont l’installation Dunking Island est exposée dans la Chapelle de l’oratoire du Musée d’Arts de Nantes. Photo Presse Océan-Thierry Butzbach
Un récit poésie écrit par Wasis Diop
Pour mettre en mots son récit poésie , Capucine Vever a fait appel à Wasis Diop, un chanteur compositeur très connu au Sénégal, originaire de la tribu de pêcheurs Lébous. On s’est fait enfermer dans des filets de pêche artisanale pour certaines séquences filmées. J’ai été marquée par le rapport très animiste de ces pêcheurs avec l’océan : il y a aussi un véritable danger à s’embarquer sur l’Atlantique à bord de ces petites pirogues et la tribu lui parle avant d’aller pêcher. C’était important de laisser la parole à quelqu’un d’autre qu’une artiste occidentale blanche pour évoquer cet espace océanique…
La plasticienne a également demandé au compositeur Valentin Ferré de mettre en musique et en acoustique son installation. Son dispositif sonore, en 16 enceintes et 4 caissons de basse, développe ainsi une expérience sonore spatialisée, enveloppante et unique. Un voyage au gré des courants et de l’humeur de l’océan à découvrir tout l’été.