Quarante mètres de profondeur en apnée, le temps d’une respiration et d’un sourire pour Alessia Zecchini. Ce 4 juin dans l’archipel du Frioul à Marseille, la championne du monde de plongée libre a aussi de la colère dans la combinaison.
L’aire marine protégée dans laquelle elle s’immerge, à quelques brasses de la Conférence des Nations Unies pour l’océan (Unoc) qui se tient à Nice, est aussi l’une de celles où le chalutage de fond est paradoxalement autorisé six mois par an. Après le passage des filets de pêche, le tapis marin est un terrain vague, où la vie se raréfie. « Lorsque je plonge en Méditerranée, souffle l’apnéiste, je vois un paysage en cours de désertification. Ici, la surexploitation des ressources halieutiques a des répercussions sur les écosystèmes et les espèces marines vulnérables, ce qui aggrave les effets du changement climatique.«
Le signal d’alarme est incessamment tiré par les ONG. À l’heure où s’ouvre le sommet de Nice, ce dimanche, il résonne.
La France reprend le leadership
Reprenant le leadership des préoccupations écologiques, comme lors de la Cop de 2015 à Paris, la France, malgré les doutes politiques qui la traversent, se repositionne. Emmanuel Macron va y annoncer le renforcement des aires marines protégées. Rare pays à avoir atteint l’objectif de 30% (8,3% en moyenne dans le monde), elle n’en possède en réalité que 4% strictement préservées, à l’image du cœur du parc national des calanques.
Elle s’engage donc à passer à « un peu plus de 10% d’ici janvier 2026 ». Et à restreindre les pratiques de chalutage dans un domaine maritime qui, avec 11 millions de kilomètres carrés, est le deuxième du monde.
« Les océans sont la source de 50% de notre oxygène »
Un bon point parmi mille enjeux. La centaine de nations qui se retrouvent sur la Côte d’Azur jusqu’au 13 juin a du poisson sur la planche. Et beaucoup d’arêtes à soulever : eaux internationales en forme de far west, pêche illégale, puits de carbone, pollutions plastiques, exploitation des fonds marins, érosion côtière, espèces en déclin, acidification, décarbonation du transport maritime qui représente 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre… « On nous a donné à réfléchir pendant quelques jours sur ces questions pour apporter des recommandations », explique l’océanographe Jean-Pierre Gattuso. Directeur de recherches au CNRS et membre du Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) il s’est enfermé cette semaine à Nice avec des scientifiques de 112 pays.
« On avait travaillé en amont sur ces recommandations. Si tous les yeux se tournent vers l’océan, c’est parce que beaucoup de solutions pour éliminer les pollutions sur terre ont montré leurs limites. Les océans sont la source de 50% de notre oxygène et absorbent plus de 90% de la chaleur résultant des gaz à effet de serre. Ne nous réfugions pas derrière les incertitudes. On en sait assez pour agir sur le climat et déterminer l’importance de la biodiversité des grands fonds. »
26 millions de tonnes de poissons pêchés illégalement
Parmi les points chauds de cette conférence organisée par la France et le Costa Rica, sous l’égide de l’ONU, la ratification d’un traité sur la haute mer apparaît comme une urgence. Régie par aucune loi, elle est le théâtre d’une pêche illégale qui représente 26 millions de tonnes de captures, soit 15% du marché mondial. « Elle fragilise la ressource pour l’humanité et les artisans en plus d’encourager des pratiques proches de l’esclavage », nous explique la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. Pour l’heure, seuls 29 pays ont validé l’accord passé en 2023, alors qu’il en faut au moins 60. Si Emmanuel Macron se dit « confiant », rien n’est joué sur une planète où les États-Unis ont déjà décidé de passer outre tout traité. Comme les conventions sur l’exploitation minière qui risque de laisser s’échapper le carbone séquestré au fond des océans.
« Ce serait une catastrophe, alerte Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la mer. Certains pays comme la Chine ou Nauru, 10 000 habitants en Océanie, vendent leur droit de vote à l’ONU et soutiennent une société canadienne qui veut exploiter les fonds marins. » Face à cela, certains scientifiques comme Victor David, à l’Institut pour la Recherche et le Développement (IRD) basé à Marseille, plaideront à Nice pour la reconnaissance d’une personnalité juridique aux espaces marins.
« Sa biodiversité va mal, elle s’acidifie et subit la canicule marine »
« La Méditerranée est tributaire des droits de 21 États souverains censés la respecter, souligne-t-il. Mais les scientifiques sont formels : cette mer est l’une, ou sinon la plus polluée au monde. Sa biodiversité va mal, elle s’acidifie et subit la canicule marine. On est arrivé à une limite des statuts à la protéger. Si elle devient un sujet de droit, on viserait une meilleure homogénéité ».
On en est loin et le congrès onusien va devoir faire mieux que des déclarations d’intention face à un niveau des eaux qui a grimpé de 23 cm en un siècle. « Nous craignons que les dynamiques géopolitiques qui continuent de freiner la coopération internationale ne se reproduisent à Nice, grince François Chartier, chargé de campagne Océans chez Greenpeace France. Cela risque de transformer la conférence en un simple forum de discussion. Le dernier projet manque des mesures nécessaires sur tous les sujets. » Soyons cyniques alors : l’augmentation fin 2023 de 6,9% des primes d’assurance maritime fera peut-être bouger les choses.