Je repense souvent à mon enfance — pieds nus sur le pont de la Calypso, aux côtés de mon grand-père Jacques Cousteau, lors de ses expéditions océaniques. Les criques rocheuses du sud de la France étaient mon terrain de jeu, et les créatures marines qui y vivaient, mes plus proches compagnons.

Aujourd’hui, alors que la France s’apprête à accueillir la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC3) à Nice, je ne peux m’empêcher de me souvenir des paroles de mon grand-père : « Il est possible, et même probable qu’à moins d’un grand changement dans un avenir proche, le désastre s’ensuive. »

Près de dix ans après l’Accord de Paris, notre planète bleue retient toujours son souffle. Les menaces qui pèsent sur l’océan se sont intensifiées : pêche illégale, pollution plastique, destruction massive des habitats. Alors que les dirigeants du monde entier se réuniront à Nice du 9 au 13 juin, tous les regards se tourneront vers la France, non seulement pour l’inspiration, mais pour le leadership.

Le président Emmanuel Macron a promis un « acte fondateur » pour la gouvernance mondiale de l’océan. Mais l’ambition seule ne suffit pas. Sans décisions audacieuses et contraignantes, et sans volonté politique pour les mettre en œuvre, l’UNOC3 risque de n’être qu’une occasion manquée de plus.

Si la France veut que ce moment compte, elle doit commencer par balayer devant sa porte. Cela signifie mettre fin au chalutage de fond dans les zones qu’elle prétend protéger.

Un océan « protégé » seulement sur le papier

Partout dans le monde, les gouvernements s’efforcent de tenir leur engagement de protéger au moins 30 % de l’océan d’ici 2030. La France affirme avoir déjà atteint cet objectif, mais une grande partie de cette « protection » n’existe qu’en théorie.

En réalité, le chalutage de fond, une méthode de pêche destructrice qui consiste à racler le fond marin avec d’immenses filets lestés, détruisant tout sur leur passage, est encore autorisé dans environ 670 000 kilomètres carrés des eaux françaises, y compris dans la majorité des aires marines dites « protégées ».

Appeler ces zones « protégées » est trompeur. C’est comme déclarer une forêt sanctuaire tout en autorisant les bulldozers à la traverser chaque jour. C’est exactement ce que le chalutage de fond inflige aux écosystèmes marins : il rase les récifs de coraux, asphyxie la biodiversité et ne laisse rien aux communautés et aux espèces qui en dépendent.

En Europe, le constat est le même : des aires marines protégées qui, en pratique, ne protègent pas grand-chose. C’est une trahison, non seulement envers l’océan, mais aussi envers la confiance du public.

La France ne peut plus se contenter de demi-mesures

La France a accompli des avancées réelles en matière de protection des océans : interdiction de certains plastiques à usage unique, ratification du traité sur la haute mer, opposition à l’exploitation minière des fonds marins. Ce sont des pas importants. Mais si la France veut être prise au sérieux en tant que leader mondial de la protection de l’océan, elle doit faire preuve de cohérence.

Cela commence par un acte clair et mesurable : interdire le chalutage de fond dans toutes les aires marines protégées françaises.

Lorsque les aires marines sont véritablement protégées, la vie marine reprend. Les populations de poissons augmentent. Les écosystèmes côtiers se régénèrent. Et les communautés locales, notamment les pêcheurs artisanaux, en récoltent les fruits. La protection ne profite pas seulement à la nature ; elle profite aussi aux humains.

Le moment est venu

L’UNOC3 est le moment de vérité pour la France. Sera-t-elle à la hauteur de ses promesses ou les laissera-t-elle sombrer dans un océan de mots creux ?

En tant que Française, dont la famille a toujours défendu le rôle de la France comme gardienne des mers, je pense que ce moment exige plus que des symboles.

J’en appelle au président Macron : offrez une protection réelle, en commençant par mettre fin au chalutage de fond dans toutes les aires marines protégées françaises. La France a l’occasion de poser un jalon fort à l’échelle mondiale. Qu’elle ne soit pas seulement le pays hôte de cette conférence sur l’océan, mais celui qui aura contribué à inverser la tendance.

La France a offert au monde la vision de Jacques Cousteau : un océan digne d’être protégé. Elle peut aujourd’hui offrir au monde le leadership nécessaire pour le faire.

Comme le disait mon grand-père : « Pendant la plus grande partie de l’histoire, l’homme a dû lutter contre la nature pour survivre ; dans ce siècle, il commence à comprendre que, pour survivre, il doit la protéger. » Le moment d’agir, c’est maintenant.

(*) Alexandra Cousteau, petite-fille de Jacques-Yves Cousteau, est une militante primée en faveur de la restauration et de l’abondance des océans. Figure de proue de l’activisme océanique, elle collabore avec des dirigeants du monde entier, tous secteurs confondus, pour influencer, rassembler et mobiliser des actions concrètes visant à obtenir des résultats mesurables pour rendre les océans plus riches en biodiversité et en ressources. Alexandra Cousteau est conseillère principale auprès d’Oceana, où elle met son expertise environnementale et son influence au service des campagnes mondiales de l’organisation pour protéger et restaurer les océans de la planète. Elle est également cofondatrice d’Oceans 2050.