Une surmortalité ignorée du grand public

Lorsqu’on évoque les troubles psychiatriques comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires, l’image qui vient souvent à l’esprit est celle d’un risque suicidaire élevé. Si ce risque existe, il n’explique qu’une partie minoritaire de la baisse drastique d’espérance de vie. Le cœur du problème est ailleurs.

Ce sont les maladies somatiques, notamment cardiovasculaires, métaboliques ou respiratoires, qui tuent en silence les personnes atteintes de troubles psychiques. Le phénomène est massif, documenté, mais trop peu connu en dehors des milieux spécialisés.

Une longue liste de pathologies associées

Les troubles psychiques sévères sont fréquemment associés à d’autres maladies physiques, dont la prise en charge est souvent retardée, voire absente. En cause : la fatigue psychique, le manque d’accès aux soins, mais aussi la stigmatisation.

Voici un tableau des pathologies les plus courantes chez ces patients :

Pathologie associée
Explication
Maladies cardiovasculaires (hypertension, AVC…) Plus fréquentes que dans la population générale, liées aux traitements et mode de vie Diabète de type 2 Surreprésenté, souvent mal diagnostiqué ou découvert en urgence Apnées du sommeil Peu dépistées, pourtant fréquentes BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive) Tabagisme massif chez ces patients Troubles digestifs et sexuels Souvent négligés faute de consultation somatique régulière Problèmes bucco-dentaires Peu de suivi dentaire, conséquences inflammatoires importantes

Ces comorbidités ne sont pas uniquement liées aux troubles psychiques eux-mêmes. Elles sont aussi exacerbées par les traitements.

Des médicaments qui aggravent les risques physiques

Les antipsychotiques de nouvelle génération, souvent indispensables pour stabiliser les symptômes, provoquent très fréquemment une prise de poids importante, une modification du métabolisme, une résistance accrue à l’insuline. Ces effets secondaires augmentent mécaniquement le risque de diabète, d’hypertension, de cholestérol et donc d’accidents cardiovasculaires.

Certains patients prennent plusieurs médicaments en parallèle, ce qui aggrave encore ces effets. Le corps médical est parfois démuni pour équilibrer les bénéfices psychiatriques et les risques somatiques.

Un accès aux soins largement insuffisant

L’autre grande cause de cette surmortalité, c’est le retard ou l’absence de diagnostic et de prise en charge des maladies physiques. De nombreux patients n’ont pas de médecin traitant, ou ne consultent jamais un généraliste en dehors de leur suivi psychiatrique. Quand ils le font, c’est souvent trop tard, en pleine crise ou lors d’un passage aux urgences.

Les cancers sont détectés tardivement, les protocoles médicaux ne sont pas suivis correctement, par manque de compréhension, de motivation ou de coordination entre professionnels.

Le cloisonnement des soins entre la psychiatrie et la médecine générale aggrave cette situation. Seulement 20 % des patients suivis pour des troubles psychiques sont pris en charge à l’hôpital psychiatrique, où des unités de médecine générale existent parfois. Les autres sont orientés vers les centres médico-psychologiques, qui ne proposent pas ce type de suivi.

Des solutions existent… mais restent rares

Des psychiatres de liaison peuvent jouer un rôle crucial pour connecter les soins somatiques et psychiatriques, mais ils sont encore trop peu nombreux et présents dans trop peu d’établissements.

L’enquête souligne plusieurs pistes urgentes :

  • Créer davantage d’unités de médecine polyvalente dans les hôpitaux psychiatriques
  • Former les psychiatres et les généralistes aux besoins somatiques spécifiques des patients atteints de troubles mentaux
  • Faciliter les parcours de soins coordonnés entre ville et hôpital
  • Accompagner les proches aidants, souvent seuls face à l’évolution des troubles physiques

Des familles démunies face à une spirale de dégradation

Comme le résume le Dr Nabil Hallouche, psychiatre et président de l’ANP3SM, les proches sont souvent angoissés par la prise de poids importante et les complications métaboliques, mais ne trouvent que peu de réponses concrètes.

L’espérance de vie de ces patients ne peut être améliorée qu’à condition de sortir du silo psychiatrique, de repenser l’accompagnement global de leur santé, et de traiter les maladies somatiques avec la même vigilance que pour n’importe quel autre patient.

Source : UFC Que Choisir