À partir du 10 juin, de nouveaux travaux vont être menés sur la rue Mélanie, dans le secteur de la Robertsau, deux mois après sa mise en service. Une rue qui a occupé l’actualité strasbourgeoise et nationale le mois dernier, en faveur d’un 1er mai bien bouchonné. Obligeant la Ville à rétropédaler et à revoir sa copie sur une piste cyclable qui a déjà coûté près de 1 million d’euros. Comment en est-on arrivé là ? Retour 4 ans en arrière.
Des voitures qui se croisent mais qui ne peuvent pas passer, des vélos qui zigzaguent comme ils le peuvent sur la grande piste cyclable qu’enjambent des automobilistes frustré(e)s. Concert de klaxons, de noms d’oiseaux et de frustration, dans une rue calme, qui sert principalement à rejoindre le cadre verdoyant du parc de Pourtalès. On aurait pu se croire sur le périph’ en heure de pointe, mais on était bien à Strasbourg le 1er mai dernier.
Cette rue, c’est la rue Mélanie à la Robertsau, et elle a défrayé la chronique le mois dernier. Les images ont tourné dans la presse locale, jusqu’à en faire un sujet au 20h de TF1, grande messe nationale. La faute à une piste cyclable et des aménagements qui ont créé beaucoup de confusion cette année. Petit retour en arrière, il y a quatre ans.
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Étape 1 : le début du projet, et la franche opposition de certain(e)s riverain(e)s
Le 5 mai 2021, à peine remise des polémiques liées à la définition de l’antisémitisme et à la mosquée Eyyub Sultan, la municipalité publie un sondage sur le site participer.strasbourg.eu. Le sujet ? Le réaménagement de la rue Mélanie à la Robertsau, projet déjà évoqué sous la précédente mandature.
Le schéma est plutôt simple : la Ville souhaite créer une piste cyclable bidirectionnelle de 3,50 mètres de large et de 330 mètres de long d’un côté, et de l’autre, des cheminements piétons sécurisés avec des trottoirs de 2 mètres, entre le giratoire Himmerich et l’entrée de ville au nord-est.
© Ville de Strasbourg via Chemins indiens / Document remis
La circulation reste à double sens sur une voie de 3,5 mètres de large, avec passage en écluse [un resserrement de chaussée ne permettant le passage que d’une file de véhicules : lorsqu’un sens passe, l’autre sens attend, ndlr]. Un aménagement qui entraîne la réduction des places de stationnement et la plantation de nouveaux arbres.
Le 14 juin 2021 se tient une réunion de restitution du sondage publié un mois plus tôt, et la première réunion publique de présentation du projet se tient le 30 septembre. À ce moment-là, des premières voix discordantes se font entendre, notamment du côté du collectif Mélanie. Ses membres dénoncent le manque de concertation, lançant une pétition, mais aussi la disparition des places de stationnement, et plaident davantage pour une Vélorue, plutôt qu’une piste cyclable. Selon une riveraine croisée le 7 juin 2025 sur la rue Mélanie, les habitant(e)s n’ont jamais été contre sécuriser les cheminements pour les piétons et les cyclistes, mais ils ont toujours été contre la solution proposée par la Ville.
Des feuilles que l’on retrouve encore aujourd’hui rue Mélanie. © Nicolas Kaspar / Pokaa
Le dossier est ensuite repris par l’opposition, par la voix de Pierre Jakubowicz. La rue Mélanie apparaît alors pour la première fois dans l’arène municipale le 15 novembre 2021, avec une interpellation du conseiller municipal d’opposition, déplorant la « situation ubuesque » représentée par « un projet de piste bidirectionnelle de 300 mètres pour un demi-million d’euros où les habitants sont relégués au second plan ».
Sur l’année 2022, le sujet continue doucement d’exister dans la sphère locale : certain(e)s riverain(e)s continent leur opposition, tandis que d’autres se réjouissent d’un tel aménagement. Le sujet revient par une porte détournée au conseil municipal de mars 2022 sur un projet immobilier au 88 rue Mélanie. En novembre, une réunion publique échauffe grandement les esprits entre riverain(e)s et opposition d’un côté, municipalité de l’autre. Une sorte de mini conseil municipal à la sauce de la Robertsau.
© Ville de Strasbourg / Documents remis
Étape 2 : l’apparent calme de 2023
Pourtant, ensuite, le sujet se calme petit à petit. Acceptation ou résignation, la réponse se cache sans doute entre les deux options ; et la dernière réunion publique avant le démarrage des travaux se déroule, elle, dans un calme relatif, contrairement à l’ambiance du conseil municipal quelques mois auparavant.
À ce moment-là, le projet présenté a légèrement été amendé : 14 arbres plutôt que 15, alors que 18 places de stationnement resteront dans la rue, contre 14 prévues auparavant. Deux carrefours seront modifiés pour faciliter les déplacements et les demi-tours des bus, tandis que la voirie, le trottoir et la piste cyclable seront traités en enrobé. Les travaux étaient censés démarrer à l’automne, mais, comme pour le reste du projet, pas grand-chose ne s’est déroulé comme prévu.
© Ville de Strasbourg via Chemins indiens / Document remis
Étape 3 : la réalisation du chantier entre 2024 et 2025
Finalement, il faut attendre février 2024 pour que les travaux de réseaux de la rue Mélanie débutent enfin, soit avec quasi neuf mois de retard sur ce qui était initialement prévu. À ce moment-là, le projet ne se chiffre plus à 500 000 €, ni à 680 000 € comme présenté dans les documents des réunions publiques. Désormais, c’est 885 000 € fléchés pour la réalisation de la piste cyclable et le réaménagement de la rue.
Les travaux n’ont pas été de tout repos : il a fallu composer avec la météo capricieuse, des acquisitions foncières qui ont pris (bien) plus de temps que prévu [selon la même riveraine, rien n’est encore officiellement signé, il n’y a que la parole orale, ndlr], ainsi que le passage des Courses de Strasbourg puis de la Flamme olympique. Mais, au début du mois de juillet, ils ont enfin repris, se portant notamment sur la chaussée et le marquage. En août, c’est l’enrobé qui a été posé. Finalement, les travaux s’achèvent au début du printemps 2025, pour la mise en service de l’aménagement. Et le début des problèmes.
Étape 4 : le fiasco du 1er mai, point de départ de la polémique nationale
Dans les médias locaux, difficile de dater précisément le début de vie de la nouvelle piste cyclable de la rue Mélanie. Pour notre riveraine, elle date la mise en place au début du mois d’avril. La raison de ce flou est simple : la municipalité ne s’est pas épanchée à ce sujet, que ce soit via une inauguration, une conférence de presse ou un simple communiqué. Au vu de leur propension à inaugurer tous leurs aménagements cyclables, cette décision pouvait paraître quelque peu étonnante, et annonciatrice des problèmes à venir. Seuls les riverain(e)s jugent cette nouvelle rue, avec des mots durs selon les DNA : « dangereuse » et « nuisible ».
Finalement, si le sujet revient en conseil municipal du 17 mars dernier, l’aménagement déboule dans l’actualité après le 1er mai : de nombreux/ses Strasbourgeois(es) souhaitaient se rendre en voiture au Château de Pourtalès en empruntant le nouvel axe de la rue Mélanie. Problème : d’énormes bouchons sur l’axe, des automobilistes perdu(e)s ne sachant pas à qui laisser la priorité, des cyclistes qui doivent éviter des voitures en enjambant la piste cyclable… Les vidéos de la journée montrent une situation chaotique.
Et forcément, l’opposition ne s’est pas privée de revenir à la charge sur un sujet sur lequel elle alerte depuis plusieurs années. Jean-Philippe Vetter a fait dans la caméra embarquée avec son téléphone [au volant, ce qui n’est pas très sécuritaire, ndlr] pour montrer l’étendue du « chaos total », fustigeant un « carnage ». Pierre Jakubowicz est resté à pied pour filmer les bouchons, mais dénonce également un « bazar » avec « des nuisances sonores et de pollution énormes pour les riverains ».
La polémique enfle jour après jour, avec d’abord les médias locaux qui relatent la situation du 1er mai. Dans un contexte de beaux jours, où les Strasbourgeois(es) se ruent dans les parcs et notamment dans celui de Pourtalès, le problème posé par la rue Mélanie devient rapidement important. Et surtout, visible. Transformant une polémique cantonnée au local en pain béni pour des rédactions nationales en quête d’insolite.
© Nicolas Kaspar / Pokaa
RTL, avec son reporter local, se fend d’un article titré « Ubuesque » : à Strasbourg, une nouvelle piste cyclable trop large crée d’énormes bouchons le 20 mai, tandis que, le soir même, le sujet va même avoir l’honneur de passer au JT de 20h de TF1. On y voit du micro-trottoir d’habitant(e)s et même de policiers, ainsi qu’une petite interview de Marc Hoffsess. Le sujet est également relayé sur leur site Internet le lendemain, avec le titre, tout en nuance, « Qui a fait ça ? » : à Strasbourg, cette nouvelle piste cyclable fait hurler cyclistes et automobilistes.
Le 21 mai, c’est au tour de RMC de titrer le 21 mai « Une catastrophe » : à Strasbourg, une piste cyclable à 900 000 € provoque des embouteillages monstres. Globalement la même idée que RTL, celle d’un Strasbourg transformé en Absurdistan, un angle qui fonctionne bien contre les villes gérées par des maires écologistes. D’ailleurs, dans ces deux articles, que du ressenti d’habitant(e)s, pas d’interviews de la municipalité. Seul RMC cite un autre média pour la réponse de Marc Hoffsess. Le Figaro publiera également un article le même jour. Finalement, Ouest-France réalisera lui aussi un article deux jours plus tard, le 23 mai.
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Étape 5 : de nouveaux travaux pour la municipalité, un « grand gâchis » pour l’opposition
Finalement, après ces trois semaines compliquées d’un point de vue com’, la municipalité tranche : elle va refaire des travaux. Le 23 mai à 15h44, elle envoie un communiqué pour informer la presse que des travaux complémentaires vont être réalisés, « pour fluidifier et sécuriser l’accès au parc pour l’ensemble des modes de déplacement (voiture, marche à pied, vélo) ».
Citée dans le communiqué, Jeanne Barseghian constate « que l’aménagement réalisé doit être amélioré », tandis que Marc Hoffsess regrette le choix d’avoir voulu « à tort contenter tous les besoins des différents usagers de cette rue, qu’ils soient riverains ou passants, motorisés ou cyclistes… ». Résultat des courses ? De nouveaux travaux seront menés dès demain 10 juin, et ce jusqu’au 27. Selon notre riveraine, ils consisteront surtout à enlever les arbres précédemment plantés.
Les arbres vont être enlevés. © Nicolas Kaspar / Pokaa
Forcément, l’opposition s’en est donnée à coeur joie, et notamment Pierre Jakubowicz. Le pas-encore-mais-presque candidat aux municipales dénonce « un aveu d’échec et un grand gâchis », mais également du « temps perdu, de l’argent jeté par les fenêtres et des nuisances et tensions inutiles ».
Côté couverture médiatique enfin, les médias locaux reprennent tous l’annonce de nouveaux travaux, en remettant une couche sur la « réussite » de l’aménagement. En national, 20 Minutes et Capital publient tous les deux un article les 27 et 28 mai. Fin de l’histoire, pour le moment.
La piste cyclable de la discorde. © Nicolas Kaspar / Pokaa
La question finale ? La rue Mélanie, un aménagement vraiment mal fichu ?
Dans tout ça, finalement, manque une question, de fond : techniquement, l’aménagement de la rue Mélanie est-il si catastrophique que cela ? Pas sûr, ou en tous les cas, pas autant que la polémique et le traitement du sujet a pu le faire croise. Et il se pourrait bien que, encore une fois, quelques occurrences bien médiatisées l’aient emporté sur le fond de l’affaire [parce que, depuis que les travaux ont été annoncés, plus aucune mention des problèmes rue Mélanie, ndlr].
À en croire Strasbourg à Vélo, 43% de la largeur de la voirie est encore accordée aux voitures, ce qui reste conséquent. Le problème, c’est plutôt le manque de pédagogie, de communication et d’accompagnement des automobilistes face à ce nouvel aménagement qui renverse la contrainte habituelle : c’est désormais aux voitures de s’adapter, plus aux piéton(ne)s ou aux cyclistes. Le contraire de ce qu’était la rue Mélanie avant, où 100% de la voirie était dédiée à la voiture, sans marquage au sol, ni trottoir, ni aménagement cyclable.
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Car sur de nombreuses vidéos, on peut voir des automobilistes stationner sur des portions à double sens. Ce qui est interdit, mais surtout, c’est la raison pour laquelle le trafic automobile se retrouve congestionné. Car si l’on stationne sur les portions à double sens, comment faire pour passer sans créer des difficultés ? Ce manque de préparation et d’explication peut expliquer certains ratés.
Strasbourg à Vélo recommande alors un meilleur marquage au sol et une signalisation pour faciliter la compréhension de l’aménagement par les automobilistes. Tout comme une meilleure différenciation des zones de stationnement de celles où il est interdit de stationner et de s’arrêter. Des choses simples, pour que les règles soient compréhensibles par les automobilistes.
Une entrée et sortie de rue compliquée pour tous. © Nicolas Kaspar
Ayant voulu en avoir le coeur net, l’on s’est rendu sur place le 7 juin, jour de mauvais temps. Très peu de vélo, mais plus important : les rares voitures qui se croisaient n’ont eu aucune peine à se déporter dans les écluses prévues à cet effet, puisque les voitures qui stationnaient le faisaient dans les clous. De ce côté-là, sans doute qu’un peu plus de patience et d’acculturation des automobilistes aurait pu faire l’affaire, même en cas de beau temps.
Là où le bât blesse sérieusement néanmoins, c’est sur les entrées et les sorties de la rue, de gros points noirs. Le rond-point est un véritable casse-tête pour les automobilistes, mais également pour les bus, qui ont du mal à tourner en une seule manoeuvre. Ce qui crée des problèmes dès le départ.
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Lorsqu’on quitte de la rue pour aller vers le parc du Pourtalès, la piste cyclable tourne brutalement, tandis que la voie se rétrécit, permettant de laisser passer une voiture à la fois. Un dispositif un peu dangereux, surtout si l’on revient du château, où la vitesse est plus élevée.
À voir ce que fera la municipalité, dont la main a finalement été « forcée » pour réaliser de nouveaux travaux en raison d’une couverture médiatique courte, mais intense.
© Nicolas Kaspar / Pokaa