Il y a des morts. Des studios français emblématiques, 2d3D Animations, SolidAnim, Cyber Group Studios et o2o Studio (Idéfix et les irréductibles ) ont été liquidés. En difficulté, TeamTO et Technicolor ont été rachetés. Le très important Xilam (Oggy et les Cafards, Zig & Sharko) a perdu 41 % de son chiffre d’affaires l’an dernier, passé de 40 à 23,5 millions d’euros. « 2025 sera encore une année difficile », a averti Marc du Pontavice, PDG de Xilam.

Que s’est-il passé ? Un choc de croissance, selon Stéphane Le Bars, délégué général d’Anim France, représentant plus de 70 sociétés et studios du secteur. La marche en avant commencée en 2017, accélérée par « la demande extrêmement forte des streamers américains comme Netflix, Prime Video, HBO Max ou Disney, une explosion du volume de leurs commandes dans leur conquête d’abonnés », a été stoppée net à l’automne 2022.

YouTube capte 30 % de la consommation vidéo des enfants

Clap de fin de la prospérité dopée par un accès facile à l’argent. Sous la pression de Wall Street, les plateformes ont visé la rentabilité. « La manière la plus simple de répondre à l’objectif a été de couper dans les investissements de programme », souligne Stéphane Le Bars. Résultat : une chute de 40 % des commandes aux États-Unis en quelques semestres. La dépendance aux commandes étrangères, qui représentait jusqu’à 50 % de l’activité de certains studios français d’animation, a amplifié l’impact du décrochage.

Cette dépendance a mis en lumière la nécessité de renforcer la production nationale, tant pour la télévision que pour le cinéma. Or, la production télévisuelle, pilier historique du secteur, est elle aussi fragilisée par les mutations de la diffusion avec effet déstructurant. En cause : « des acteurs peu ou mal régulés, comme YouTube », note Stéphane Le Bars. YouTube, qui capte 30 % de la consommation vidéo des enfants, ne contribue que marginalement via une taxe sur son chiffre d’affaires, mais sans obligation de production. Quant aux streamers, ils se contentent trop souvent de racheter des catalogues existants (Ladybug et Chat noir, Pyjamasques, Grizzy et les Lemmings), au lieu d’investir dans des créations originales.

Disney joue le jeu, pas Netflix

Le décret SMAD de juillet 2021 censé imposer des obligations de production aux plateformes, a largement échoué pour l’animation. « On demandait 20 % des investissements pour l’animation et le documentaire, mais l’Arcom a fixé un seuil à 5 %, réparti entre plusieurs genres », regrette Le Bars. Des accords interprofessionnels ont permis de relever légèrement ce pourcentage (jusqu’à 17 % pour Disney, dont 12 % pour l’animation), mais Netflix, acteur dominant, reste réticent à investir dans la création inédite.

Si la télévision souffre, le long métrage d’animation connaît une situation paradoxale. La production française a augmenté, avec 6 à 10 films par an, et des succès comme ceux de TAT Productions (Les As de la jungle) montrent un réel appétit du public. Pourtant, les financements restent difficiles à obtenir. « On n’a pas réussi à mettre en place des obligations de production pour le long métrage comme pour la télévision », souligne Stéphane Le Bars. Des assises prévues début octobre à Paris doivent soutenir l’ambition de renforcer la production de longs métrages français d’animation, un secteur où la France ne capte que 5 à 10 % de parts du marché.

Le potentiel et la demande existent

Face à cette crise, Stéphane Le Bars insiste sur la nécessité d’agir sur plusieurs fronts. Tout d’abord, une révision du décret SMAD est cruciale pour garantir que les streamers américains investissent dans la production inédite d’animation française, et non uniquement dans le rachat de catalogues. Ensuite, une réévaluation des outils de soutien du CNC, qui, bien que performants, datent d’une décennie et nécessitent une adaptation aux évolutions du marché. Enfin, il appelle à renforcer le crédit d’impôt pour l’animation, à l’image de ce qui est envisagé pour le jeu vidéo, afin de protéger le savoir-faire français. « On a une industrie de très haut niveau, avec des formations, des talents, des studios, et on a construit ça depuis 30 ans, avec un savoir-faire industriel et technologique, artistique, extrêmement fort », insiste Le Bars,

Avec près de 9 000 emplois en France, contre plus de 10 000 au pic de 2022, l’animation française reste un secteur à haut potentiel. Des succès comme la série  Arcane de Fortiche Production ou les films d’Illumination Moi, moche et méchant, Minions , produits en partie en France, en témoignent. Mais pour surmonter la crise, il faudra agir vite. Stéphane Le Bars insiste : « La demande est là, le public ne s’est pas évanoui ».