Un visage emblématique du petit écran.
À 77 ans, dont près de 30 passés à présenter la météo sur TF1, Évelyne Dhéliat ferait presque partie de la famille pour les millions de téléspectateurs qui la suivent. Passionnée par son métier, celle qui n’a « pas du tout » prévu de raccrocher a su adapter sa pratique à l’urgence climatique.
À Nice, ce vendredi 6 juin, on la retrouve, studieuse, dans le public d’une conférence du 22e Forum de la météo et du climat, en marge de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (Unoc). Rencontre.
Avec le changement climatique, le présentateur météo doit-il être un éveilleur de conscience?
Oui, il faut engager les gens. Souvent, on me dit: « Dans mon petit coin, qu’est-ce que je peux bien y faire? ». Je réponds que ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. J’ai connu les années 1980, les Trente Glorieuses où on consommait sans se poser de questions. Aujourd’hui, on prend conscience de la violence des éléments. Ce qu’il faut, c’est informer sans affoler, en donnant envie d’agir.
Présenter la météo en 1990 et en 2025 n’a plus rien à voir?
Je parle d’évolution et pas de révolution. Les téléspectateurs ont des repères, pas question de changer toutes les cartes du jour au lendemain. En revanche, différents critères ont évolué. D’abord, parce que nous travaillons avec Météo France. Quand j’ai démarré, on faisait des prévisions du jour pour le lendemain ou le surlendemain, guère plus loin. Maintenant, on a aussi des tendances pour les six jours à venir. D’année en année, leur véracité évolue. Cela reste des tendances, c’est pour cela qu’il y a un indice de confiance. Prévoir le déplacement exact d’une perturbation à cinq ou six jours reste compliqué. En revanche, quand on annonce un coup de chaleur dans trois ou quatre jours, on l’a vraiment. La qualité des prévisions est extraordinaire, les logiciels sont de plus en plus performants.
Il y a souvent dans l’opinion une confusion entre météo et climat. Expliquez-nous.
La météo, c’est du court terme, la climatologie du long terme. On en parle de plus en plus. Mon rôle, et j’ai été l’une des premières à le faire il y a 20 ans, c’est d’informer sur le pourquoi et le comment des évènements météo. Parfois, on n’a pas le recul nécessaire pour le faire. Les scientifiques sont des personnes très prudentes, qui n’affirment rien sans que ce soit confirmé. J’ai vu leur langage évoluer. Quand j’ai commencé à aller vers eux, lors de forums de la météo dès 2004-2005, ils m’ont expliqué s’être aperçus de la remontée exponentielle et parallèle de deux courbes: celle des températures et celle des émissions de CO2, notamment depuis l’industrialisation. Je les ai sentis désemparés: ils ne savaient pas comment faire prendre la mesure du problème au grand public. Un matin, à la fin d’un exposé, je suis allée trouver des experts pour leur dire: « j’ai un bulletin météo suivi par des millions de téléspectateurs, j’ai envie de porter ces messages, d’apporter ma touche ». Mon idée n’était pas d’être anxiogène mais d’axer sur comment nous pouvons agir. C’est comme ça que sont nées les pastilles « C’est bon pour la planète » dans chaque bulletin.
Avez-vous vu les mentalités évoluer?
À l’époque, tout le monde me disait: « Mais de quoi vous nous parlez? » C’était avant la COP 21. Les scientifiques tablaient sur une hausse de la moyenne des températures à 1,5°C sur un siècle. Ma difficulté, c’était à la fois de dire aux gens: « Demain, vous allez avoir 5°C de plus qu’aujourd’hui ». Et: « Il est tout à fait probable qu’en une centaine d’années, les températures augmentent de 1,5°C. » Ce n’était pas parlant. Certains me disaient: « Mais, c’est rien 1,5°C! », « Tant mieux, moi j’aime bien la chaleur ». J’en ai parlé à des scientifiques. Pour moi, il fallait du concret. Expliquer qu’en baissant sa vitesse de 10km/h sur la route, c’est 10% d’économie d’énergie, autant de CO2 donc moins de réchauffement climatique. L’évolution des mentalités a commencé timidement. Mais ces dernières années, il y a eu un emballement qui fait comprendre qu’on est au pied du mur.
Canicule de 2003, tempêtes Xynthia en 2010, Alex en 2020… Les épisodes météorologiques extrêmes ont aussi marqué les consciences…
Il n’y en a pas forcément davantage mais ils sont plus violents. Cela s’explique notamment par l’océan qui se réchauffe. Prenez la Méditerranée: la température de l’eau en été peut grimper à 28°C! Si cette mer n’est pas assez profonde pour générer un risque de cyclone (phénomène qui se forme dès 26°C en surface), on commence à y parler de Medicane [contraction de « méditerranéen » et « hurricane », ouragan en anglais N.D.L.R.]. Les « épisodes cévenols » sont aussi dus à la hausse de la température de l’air et de l’eau. Globalement, on voit bien que la machine s’emballe: 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée sur la Planète. Devant 2023… et 2016. En 2014, l’Organisation météorologique mondiale avait demandé à un présentateur météo de chaque pays de faire un bulletin anticipant une canicule en août 2050. J’ai eu l’honneur de le réaliser pour la France, avec des projections de Météo France. Il y avait 40°C à Paris. En 2019, le record absolu dans la capitale était de… 42,6°C. L’exceptionnel va malheureusement devenir la norme.
Parlez-vous d’océan dans vos bulletins?
Oui. On sait que le réchauffement a un impact sur la fonte des glaciers donc sur la hausse du niveau de l’eau. Les gens le voient: les côtes régressent. Quand j’étais gamine, j’allais en vacances dans le Sud Ouest. Certains sentiers du littoral qu’on empruntait n’existent plus.
Votre ton, vos mots ont-ils changé?
Mon ton reste le même, celui d’un dialogue direct. Mon choix de mots a évolué. Je ne dis plus: « Il va faire beau ». Parce que le beau temps pour certains, c’est du mauvais temps pour d’autres. Pour quelqu’un qui veut profiter de son week-end, c’est magnifique. Mais l’agriculteur qui souffre de la sécheresse attend la pluie. Jeudi dernier, j’ai annoncé l’arrivée de la pluie pour le week-end sur les Hauts-de-France en ces termes: « Oui, cela arrive le week-end. Mais prenons ça comme une bonne nouvelle ». Puis, j’ai présenté la carte de l’humidité des sols qui montrait qu’ils étaient très secs. Il y a aussi une notion qu’on n’employait jamais il y a quelques années, celle de « record absolu ». On parlait de records mensuels, journaliers. « Absolu », cela veut dire qu’il n’a jamais fait aussi chaud…