De belles maisons à colombages, des toits à la ligne travaillée, surplombés d’épis de faîtage. On s’attendrait presque à tomber sur les célèbres planches en bord de plage. À ceci près que nous ne sommes pas à Deauville (Calvados) mais à Dovil, tout près de… Moscou. « Quelqu’un a dû venir en repérage chez nous », s’amuse Philippe Augier, le maire de la cité balnéaire normande. « Des gens qui ont de l’argent, de l’influence, ont fait construire une petite France près de Moscou », précise Alexandr, historien et archéologue russe en exil depuis 2020, actuellement en poste à l’Université de Caen.

Dovil, en Russie, compte une grosse soixantaine de maisons, selon Philippe Augier, toutes inspirées des célèbres villas (fin XIXe, début XXe) du centre de Deauville mais « russifiées, sur les entourages de fenêtres ou les terrasses par exemple », précise l’historien. « Elles sont plutôt plus travaillées que les nôtres et pour la plupart beaucoup plus grandes », ajoute l’épouse du maire, Béatrice Augier, passée sur place avant la pandémie de Covid et qui avait eu le temps de voir ce qui s’annonce comme une réplique du célèbre hôtel Le Normandy.

Destinées à une élite fortunée, les villas de Dovil, en Russie, s'inspirent largement de celle de Deauville, dans le Calvados. DR Béatrice Augier. Destinées à une élite fortunée, les villas de Dovil, en Russie, s’inspirent largement de celle de Deauville, dans le Calvados. DR Béatrice Augier.

À Deauville, le maire plaisante sur la « rançon du succès » et relève un changement des consciences sur le type d’architecture qui fait l’originalité de sa commune : « Il y a 25-30 ans, cela ne choquait personne que ces villas soient rasées. Des familles avaient du mal à faire des travaux alors elles les vendaient à des promoteurs. Ce patrimoine n’était pas perçu comme tel, se souvient Philippe Augier. En 2005, nous avons établi une zone de protection, couvrant 555 bâtiments. Ils ne peuvent plus être détruits. Cela donne une âme à la ville et c’est ce qui a sûrement plu en Russie. »

Si l’immobilier est déjà cher sur la Côte fleurie, son prolongement russe l’est encore davantage. Philippe Augier évoque des montants entre cinq et dix millions de dollars pour des villas très vite acquises au moment de leur construction, à partir du début des années 2000. « Ce sont des cottages pour très riches, confirme Alexandr. Cette tentative d’appropriation culturelle sert des besoins : souligner un statut de supériorité. Car autour du village, c’est la pauvreté. C’est aussi un certain signe de mépris envers cette population moins aisée. » Pour l’historien russe, ce « simulacre » de Côte fleurie (il existe aussi une réplique de Trouville, la voisine de Deauville) n’est pas aussi anodin qu’il en a l’air, dans le cadre de ce qu’il qualifie de « guerre culturelle ».

« On l’a bien pris »

Il relève qu’en parallèle du développement de Dovil près de Moscou, « au moment où les relations s’amélioraient entre Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine », les Russes ont décidé de construire leur propre église à Paris, la cathédrale orthodoxe de la Sainte-Trinité, près du pont de l’Alma, achevée en 2016, en mémoire d’une victoire… française contre les Russes en 1854. « Il y a comme une revanche », assure-t-il. Et d’ajouter : « Dovil, c’est une façon de s’approprier la culture française pour que les Français puissent dire Regardez, ils vivent comme nous. On a une proximité. Mais c’est une guerre d’image, c’est trompeur ».

Pour l’archéologue russe comme pour le maire de Deauville, difficile de déterminer l’origine précise de la réplique, d’autant « qu’il n’y a pas une forte clientèle russe à Deauville, contrairement à certains lieux en Méditerranée, reconnaît Philippe Augier. On a relativement peu de propriétaires et c’est la même chose pour le tourisme ».

D’où la portée symbolique de Dovil, selon Alexandr : « Deauville et Trouville sont une image de la belle vie française. Et il y a ce jeu sur l’image. Il n’y a pas eu d’ordre de construction de Dovil mais, dans les consciences, ça joue. En Russie, c’est du pouvoir que découle l’argent. Alors quand on est riche en Russie, on est proche et assujetti au pouvoir. » Deauville assure en tout cas « l’avoir bien pris ». Il n’y aura donc pas de contentieux supplémentaire dans les relations troublées entre la France et la Russie.