Par

Antoine Blanchet

Publié le

10 avr. 2025 à 19h06

“Bon..”. L’onomatopée, répétée par le président de la cour d’assises de Paris, veut tout dire. Le magistrat Benoît Blanchy est dubitatif face aux justifications de Wael M.. La salle aussi. Le public rit et s’indigne. La famille, elle, reste digne. Ce jeudi 10 avril 2025, l’accusé de 42 ans doit s’expliquer sur le meurtre sauvage de son ex-femme. Eslam, 20 ans, avait été poignardée à de multiples reprises par cet homme violent en juin 2010. L’accusé, en cavale pendant 15 ans, encourt la perpétuité. Ce jeudi, l’avocate générale a requis 30 ans de réclusion criminelle à son encontre. 

Un « coup de foudre » avec la victime

La veille de cet interrogatoire, les proches de la victime étaient tout sauf élogieux à l’adresse de cet homme au visage triste. Violent, jaloux, manipulateur… Par le truchement de son traducteur, Wael M. balaie ces attaques sur son histoire avec Eslam. Il décrit sa relation avec la victime, rencontrée en 2009 à l’aéroport de Tunis, comme un “coup de foudre”. « C’était une belle femme. Elle ne passe pas inaperçue », se remémore Wael M.. 

Selon ses dires, le couple naissant doit très vite se jurer fidélité éternelle, car la loi tunisienne ne plaisante pas avec les idylles. Pourtant, malgré le mariage, les soupçons émergent : « J’ai vu dans son téléphone qu’elle échangeait avec son ancien petit ami. Je lui ai demandé d’arrêter ». « Vous êtes amoureux, mais vous prenez le temps de fouiller son téléphone et qui elle contacte », pique Benoît Blanchy.

« Il faut que tu paies le mal que tu m’as fait »

Ces difficultés n’empêchent pas Wael M. de se sentir comblé. « C’était comme un rêve. Je n’y croyais pas », murmure l’accusé. S’il est sur un petit nuage, Eslam est en enfer. Elle aurait été violentée, voire droguée par cet amoureux transi. Lui dément farouchement. Il va même plus loin : Eslam aurait simplement profité de son argent et continué à échanger avec d’autres hommes. Le cocu bafoué livre les fortes sommes et les bijoux offerts à la victime. Cette vénalité décrite par Wael M. va à l’opposé de la générosité évoquée hier par la famille d’Eslam. On est loin de la jeune femme faisant des courses pour les sans-abris.

Cette partition du dindon conjugal jouée par l’accusé est très dissonante avec les éléments du dossier. Le président ne peut s’empêcher d’égrener les messages envoyés par Wael M. à la victime après sa fuite du foyer conjugal en février 2010. « Il faut que tu paies le mal que tu m’as fait », ou encore « Mon souhait est de boire ton sang comme on boit de l’eau ». De texto en texto, la salle laisse éclater son effroi. Dans sa veste rouge, l’accusé répond sans s’émouvoir : « Elle aussi envoyait des messages pour me narguer… ».

« Vous lui dites que vous allez lui planter un couteau dans la gorge. Que répondez-vous ? », lui lance Benoit Blanchy.

« Ce n’était que des paroles », ose l’intéressé. Dans la salle, on ne se contient plus.

L’achat d’un couteau de marque « Infidel »

Vient alors le départ de l’accusé pour la France en juin 2010. C’est le début de « curiosités diverses et variées », comme les décrit le président. Wael M. prend un vol. L’annule. Achète des cartes SIM sous un faux nom. La raison de sa venue est tout aussi surprenante.

– « C’était pour divorcer », assure-t-il.

« Mais vous ne pouviez pas le faire à distance ? »

« Ce n’est pas possible en Tunisie »

« Bon… »

Arrivé sur place, Wael M. fait de sinistres achats. Chez un armurier, il acquiert  d’inquiétants articles. Décrit comme « détendu » par le commerçant, il négocie même un prix. Ce jeudi, il justifie sa liste de courses de manière étonnante. Un couteau de chasse de marque « Infidel » et des menottes ? C’est pour se protéger des proches de la victime. Une bombe lacrymogène ? Un souvenir pour un ami en Tunisie. « Monsieur. S’il vous plaît… », lui lance le président, tandis que des rires s’échappent dans le public.

Le récit des derniers instants

Puis arrive le 10 juin 2010. Jour du crime. Un temps amusée par les contradictions de l’accusé, la salle se tait à l’approche de la mort. Sur les bancs des parties civiles, le frère d’Eslam pose sa main sur l’épaule de sa mère. La famille se soude pour faire barrage à l’horreur. « Elle m’a donné rendez-vous chez elle pour qu’on discute », commence Wael M.. 

Dans sa version, Wael M. raconte avoir attendu son ex-femme au cinquième étage de l’immeuble. Eslam arrive par l’ascenseur avec son nouveau compagnon. Elle découvre l’accusé… et le fait rentrer dans l’appartement pour discuter. Elle propose un verre à Wael M. pendant que son petit ami va dans la chambre. L’accusé poursuit. Eslam l’insulte, et lui dit qu’elle a un nouvel homme dans sa vie.

L’accusé maintient le coup de folie

Le silence est de plomb dans la salle. « Inconsciemment, je lui ai porté plusieurs coups », lâche l’accusé. Il maintient ne plus avoir été lui-même et donc, de n’avoir rien prémédité. En réponse, le président détaille les coups de couteau portés par Wael M. aux deux victimes. Le compagnon d’Eslam, gravement blessé, a pu s’en sortir.

« Cinq coups dans le dos de la victime. Vous avez une explication ? ».

« Je n’en ai aucune ».

Le président s’interroge aussi sur la fuite de l’immeuble. Wael M., couteau à la main, se dirige tranquillement vers l’ascenseur. Un calme déroutant pour un homme devenu une bête sauvage. Ce dernier assure que les portes étaient déjà ouvertes. « Impossible. Il y a une sécurité », le reprend le magistrat.

Malgré des messages envoyés à une proche de la victime dans laquelle il menace de s’en prendre à la famille. Malgré une cavale de 10 ans jusqu’en Amérique du Sud. Malgré le lancement d’un nouveau business florissant de téléphonie pendant la cavale. Malgré tous ces éléments troublants, Wael M. le maintient : il était fou. Seul réconfort pour la famille, des remords. « Si le regret tue. Je serais mort », bafouille l’accusé.

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