Vous êtes invité à l’UNOC par Space4Ocean, alliance entre les acteurs du secteur spatial et du monde marin. Y a-t-il un grand écart ou un pont naturel entre ces deux mondes mystérieux?
Je les vois comme miroirs l’un de l’autre. Ce sont des milieux difficiles d’accès, assez peu connus au final – on n’a pas encore cartographié 70% du fond des océans – et qui invitent à la rêverie, au romantisme. Je vois beaucoup de parallèles entre mon aventure dans l’espace et ce que font les navigateurs ou les scientifiques. Une station spatiale, c’est un sous-marin à l’envers! Or aujourd’hui, on voit bien que le meilleur partenaire de l’océan pour la recherche scientifique, c’est l’espace, puisqu’on peut mesurer précisément ce qui se passe partout dans le monde grâce à notre flotte de satellites. On a vraiment tout à gagner à échanger des données et à travailler ensemble.
Quand on arrive là-haut, l’importance vitale de l’océan saute aux yeux?
C’est la première chose que j’ai vue. Les cartes ne rendent pas justice à l’océan. Mais quand on regarde une mappemonde ou qu’on a la chance d’aller dans l’espace, cela saute aux yeux qu’on a une planète d’eau. étant des animaux terriens, on connaît très mal ce qui se passe dans les océans. On sait pourtant que leur rôle dans le climat est essentiel, notamment en tant que puits de carbone.
De 2017 à 2021 et d’une mission ISS à l’autre, avez-vous observé l’impact du réchauffement climatique, notamment sur la fonte des glaces?
Il m’a semblé le voir, oui. Il faut toujours faire attention et confirmer cela avec l’analyse scientifique rigoureuse. Le fait est que les deux concordent. J’ai surtout vu les ouragans, signes du réchauffement des eaux, se former l’un après l’autre dans le golfe du Mexique – une véritable usine à ouragans! Les méga-feux aussi sont, malheureusement, devenus presque une routine. Des fumées sont montées quasiment jusque dans la stratosphère; on voyait comme un voile gris sur cette bulle de savon qu’est l’atmosphère…
Quand on va là où si peu d’hommes sont allés, qu’on peut voir la beauté et la fragilité de notre planète, on devient naturellement un lanceur d’alerte climatique?
Est-ce naturel ou est-ce une sensibilité qui a été exacerbée? Il faut sans doute un terreau fertile… Quand on observe la planète jour après jour sur une mission de six mois, puis une deuxième, une relation se crée entre soi et cette planète.
Comment concilier votre conscience écologique et un job avec un lourd bilan carbone?
Je me suis beaucoup posé la question, et on me l’a légitimement posée. Il y a une sorte d’ironie. La fusée, c’est un peu le sommet de la pyramide de la civilisation carbonée. Mais sans fusées ni satellites, on n’aurait pas pu mesurer les variables climatiques qui permettent au GIEC de conclure au réchauffement! J’en parlais avec Jancovici [Jean-Marc, ingénieur conférencier spécialiste des questions de climat, ndlr]. Il parle de sobriété à avoir. Mais il y aura aussi des choix de société à faire.
Vous avez plongé par 120mètres de fond avec le photographe et biologiste Laurent Ballesta pour observer les anneaux marins du cap Corse et des Agriates. Une autre forme d’exploration?
C’est exactement la même chose. On se met dans un milieu dangereux, on gère ça comme une expédition. J’ai adoré plonger avec Laurent. En plus, on s’est fait une petite frayeur, on a eu un peu de casse, c’était assez rigolo. Il y a plein d’aventures à faire sur Terre!
Vous avez accepté de parrainer la Tara Polar Station, un « OVNI de la science » selon vous, qui va accueillir des équipes dans l’Arctique pendant de longs mois. C’est « ISS on ice »?
« ISS on ice », la formule est top! Ils vont se faire prendre par les glaces pour réaliser leur programme dans ce milieu difficile, qui est le plus similaire au milieu spatial: températures extrêmes, vie en autarcie… Si on va dans ces zones extrêmes polaires, c’est parce qu’elles subissent le changement climatique plus intensément qu’ailleurs. Cela annonce un peu ce qui va nous arriver. Si on dérègle ces zones-là, le dérèglement s’accélère. C’est donc important de les préserver. Et puis, petit cocorico, c’est la seule station polaire du monde!
L’Arctique est convoité pour l’exploitation minière des fonds marins, dénoncée par Greenpeace qui a affrété l’Arctic Sunrise à Nice…
On est toujours pris entre nos idéaux et la réalité. C’est important de légiférer, d’encadrer. Et cela se fait à l’échelle internationale. C’est pourquoi les pays se rencontrent. On a parfois l’impression que la montagne accouche d’une souris. Mais si ça n’existait pas, ce serait le far-west! Et on ne peut pas se le permettre, car les intérêts privés prennent toujours le pas sur les intérêts communs. C’est important d’avoir des forums pour limiter cette tendance de l’espèce humaine à penser au court terme plutôt qu’au long terme.
L’administration Trump veut tailler de 25% le budget de la NASA. Est-ce une catastrophe pour l’exploration spatiale européenne?
C’est compliqué pour nous. L’exploration spatiale se fait en partenariat, si bien qu’elle représente un budget très faible: l’équivalent de 2 euros par an et par citoyen européen! Or on ne peut plus travailler avec les Russes, des partenaires traditionnels, et ça devient compliqué avec les Américains. C’est peut-être une chance pour l’Europe? Est-ce qu’on ne veut pas plus d’ambition pour demain, incarner une unité européenne dans l’espace? En tout cas, on ne va pas continuer comme ça.
Votre rêve de marcher sur la Lune est toujours d’actualité, et le plus tôt sera le mieux?
Ce serait bien, mais pas à n’importe quel coût. Ce serait toujours une bonne idée d’incarner cet élan d’exploration, de science, d’unité européenne.
Vous nous avez éblouis avec vos photos de la Côte d’Azur et du Var vus de l’espace. Des paysages vous ont-ils particulièrement séduit?
Oui, d’autant que j’ai une touche locale: j’ai fait mon stage de fin d’études chez Alcatel Espace, devenu Thalès Alenia Space, à Cannes la Bocca. Quand on va dans l’espace, on essaie de retrouver les endroits qu’on connaît. Et c’est beaucoup plus facile de photographier les côtes que l’intérieur des terres, les caps, les îles comme celles de Lérins. ça m’a amusé de reconstituer tout le trait de côte et ces endroits que j’ai explorés en bateau ou en plongée.
De là-haut, qu’est-ce qui vous émeut le plus?
Le plus frappant, c’est de voir la fragilité de l’atmosphère. Quand on regarde sur le côté plutôt qu’à la verticale, on voit cette bulle de savon, ou cette cornée. ça tient à pas grand-chose! On se dit: on a vraiment de la chance d’être là, ce serait dommage d’abîmer ça.