Dans « La fabrique des timidités », Christophe Perruchas retrace les étés d’un jeune homme de 17 ans, vendeur de friandises sur les plages, qui découvre l’amour platonique. Rédigé à partir de lettres écrites entre 1990 et 1994, l’ouvrage explore la condition amoureuse et l’absence de l’autre.

Après « Sept gingembres » en 2020 et « Revenir fils » en 2021, Christophe Perruchas publie un troisième récit autofictionnel intitulé « La fabrique des timidités ». Le titre fait référence à un phénomène botanique qui désigne l’espace créé entre les branches des grands arbres. Un vide qui dessine des sillons et des nervures dans le ciel et que l’on nomme « la timidité des arbres ».

L’auteur, originaire de Nantes, n’avait pas prévu d’écrire ce texte. Occupé depuis 2020 à la rédaction d’un gros manuscrit sur le dadaïsme, il décide, sur conseil de son éditrice, de lever le pied. Mais à la suite d’une résidence d’écriture à la villa Marguerite Yourcenar dans le nord de la France, « La fabrique des timidités » vient au monde. Une histoire écrite en deux mois et qui s’inspire d’une centaine de lettres échangées entre 1990 et 1994. Ces missives, écrites par l’auteur lui-même, s’adressent à Anne, une camarade de classe, dont il est éperdument amoureux.

Une correspondance véridique

Le personnage d’Anne a vraiment existé, les lettres qu’elle adresse au jeune Christophe également. Aujourd’hui, elle est quinquagénaire comme l’auteur, et ils ont tous les deux gardé contact.

L’histoire d’amour vécue de manière platonique durant leur jeunesse s’est transformée, deux décennies plus tard, en amour physique. Christophe et Anne feront exister, adultes, ce qu’ils désiraient ardemment, adolescents.

J’ai toujours envie de lui écrire. C’est comme si nous faisions l’amour. C’est même mieux. 

Extrait de « La fabrique des timidités » de Christophe Perruchas

Un comble, car à dix-sept ans, les hormones et le désir sont à leur acmé. Durant ces mois d’été, le narrateur est loin de son amour. Il est vendeur de chouchous (une cacahuète enrobée de sucre caramélisé) sur la Pège, une très longue plage à Saint-Jean-de-Monts, dans l’ouest de la France.

La timidité ou l’impossibilité de se toucher

Selon Christophe Perruchas, cette relation non érotique prend racine dans l’identité même de son narrateur. « Pour Christophe, le désir est supérieur au plaisir. C’est une façon de continuer à idéaliser cette histoire d’amour et à pouvoir se projeter dedans », indique l’auteur dans le podcast QWERTZ du 10 juin.

Le lien étroit entre le terme botanique et le titre de l’ouvrage est un prolongement de l’histoire romantique vécue par le héros. « Ce qui m’intéressait dans l’évocation de cette timidité, c’était cette espèce d’impossibilité de toucher Anne. Cette timidité, c’est l’élan, et l’espace entre deux personnes toujours infranchi dans le roman. Et cette timidité devient l’impossibilité d’aller vers l’autre », livre Christophe Perruchas.

Les périodes estivales sont d’ailleurs idéales pour évoquer l’absence, la distance et l’impossibilité. C’est la raison pour laquelle la narration se concentre sur cinq étés du début des années 1990.

Premier job d’été, tout un apprentissage

Ce premier job d’été, vendeur de chouchous sur les plages, donne à ce texte des allures de roman d’apprentissage.

Tanné par son père de trouver du travail, Christophe décroche un job auprès de Michel, un chef sympathique et roublard, qui gère une petite entreprise de chouchous. Au début, il ne connaît rien à ce métier. Il ne sait pas qu’il faut être créatif, inventer son propre « cri », sa manière de vendre, faire déguster aux enfants sans trop offrir non plus, construire son réseau et, surtout, éviter la police. Car vendre à certains endroits sur la plage est alors prohibé.

Et puis il y a les membres du clan, qui dorment groupés dans le camping des Demoiselles. Il y a Lapin, l’Oie, Didi, Manu, Petite.

On débarque en scred, on passe les cageots vides, la barrière des flics municipaux, et les sacs à dos pleins. Cavalcade, dix jeunes en sweat, l’invasion douce.

Extrait de « La fabrique des timidités » de Christophe Perruchas

Avec ce troisième roman, Christophe Perruchas livre le récit d’un adolescent de 17 ans en lutte contre les carcans qu’on lui impose. Plus qu’un simple roman d’apprentissage, c’est un récit de combat existentiel. Le jeune protagoniste avance dans le monde, en quête d’un sens, d’une voix, d’un lieu où il pourrait être enfin à sa place. Sans renier ce qu’il est ni se plier aux injonctions de l’ordre établi.

Layla Shlonsky/mh

Christophe Perruchas, « La fabrique des timidités », ed. du Rouergue, mai 2025.

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