Selon un rapport des services secrets allemands, le parti Alternative für Deutschland abriterait un nombre toujours plus important d’«extrémistes», tandis que la criminalité motivée par l’idéologie d’extrême droite augmente.

Le 2 mai dernier, l’Office fédéral de protection de la Constitution (BfV) avait déjà formellement classé l’AfD comme un « mouvement extrémiste de droite avéré » . Une décision fondée sur un rapport d’experts long de 1100 pages, qui accorde désormais aux autorités des moyens de surveillance renforcés, y compris des écoutes et infiltrations. L’annonce a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir du nouveau chancelier conservateur Friedrich Merz.

En parallèle, le rapport annuel du BfV publié ce 10 juin révèle une hausse de 77% du nombre de membres du parti classés comme extrémistes au sein du parti. Ils seraient désormais 20.000. La criminalité motivée par une idéologie d’extrême droite, elle, a bondi de 47,4% en un an, avec six tentatives de meurtre et 23 incendies recensés.

« Ce n’est pas une dérive incontrôlée. C’est totalement voulu, réfléchi, pensé, analyse Martin Baloge, enseignant-chercheur à l’université catholique de Lille, auteur de La politique en Allemagne (La découverte). Il n’y a aucun hasard à ce que l’AfD soit aujourd’hui classée comme extrémiste par les services de renseignement.»

« La radicalité politique à l’extrême droite, ça fonctionne », analyse-t-il, rappelant que « l’AfD parvient à se présenter aujourd’hui comme le premier parti d’opposition à la grande coalition », à la faveur d’un contexte sécuritaire tendu et d’une campagne 2024-2025 « marquée par un degré de radicalisation très élevé ».

Résultat : lors des dernières législatives de février 2025, le parti a obtenu plus de 20% des voix, son meilleur score à ce jour.

« Les sondages d’opinion attestent d’une progression du nombre de personnes qui votent par adhésion et non plus par simple protestation », ajoute Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études franco-allemandes (Ifri).

Un parti jeune, mais une stratégie claire

Né en 2013 sur des bases économistes libérales et eurosceptiques en opposition à la politique d’Angela Merkel, le parti a vite muté. « L’AfD a été peu à peu investie par des groupuscules d’extrême droite. Elle est devenue un réceptacle idéologique pour leurs thèses », explique Paul Maurice. Selon Martin Baloge, l’évolution s’est faite par vagues : « les modérés ont été écartés élection après élection. Aucun des fondateurs du parti n’y est encore actif ».

Officiellement, l’AfD ne prône ni la violence ni la fin de la démocratie. Mais dans ses rangs, les discours xénophobes et les références codées au national-socialisme sont nombreux.

« Le parti est obligé de modérer son discours, tout en ayant un discours très clairement ethno-nationaliste, anti-LGBT, très traditionaliste en particulier sur les questions des droits des femmes », note Martin Baloge. Un double langage assumé, jusque dans les éléments de langage. Le chercheur rappelle que « certains élus font du révisionnisme historique, comme lorsqu’un député, Alexander Gauland, a qualifié le nazisme de “fiente d’oiseau en comparaison avec 1000 d’histoire allemande glorieuse” ».

Cette radicalisation n’a rien de fortuit : elle répond à une logique stratégique assumée, fondée sur l’efficacité du discours identitaire dans une société traversée par des tensions migratoires, économiques et sécuritaires.

Longtemps cantonnée à l’est du pays, dans les anciens Länder de la RDA, la radicalité s’étend. « Il y a une contamination idéologique de l’AfD de l’est vers l’échelle nationale », observe Martin Baloge, en citant la proximité entre Alice Weidel, codirigeante du parti, et Björn Höcke, leader ultraradical de Thuringe, condamné pour usage de slogans nazis.

Sous une façade lissée, le discours reste tranchant. Le slogan « Alles für Deutschland » — historiquement nazi – est même réutilisé par le parti. « Ils jouent sur la proximité sémantique, de manière totalement consciente. C’est une stratégie de codage, de connivence avec les électeurs et les adhérents les plus radicaux, » analyse Paul Maurice. Un glissement d’autant plus significatif que le parti est désormais majoritaire dans certaines régions.

Discours victimaire

Le parti officiellement catégorisé comme « extrémiste », les autorités allemandes ont pu mettre en place des moyens de surveillance accrus. En réaction, l’AfD a dénoncé une « instrumentalisation politique ».

« Cette classification nourrit le discours victimaire antisystème » et pourrait à terme consolider la légitimité du parti auprès des sympathisants et gagner un plus large électorat, souligne Martin Baloge. Mais, poursuit-il, «la radicalité va à l’encontre de la culture du compromis ». Or, en Allemagne, où prévaut le système du consensus, aucun parti n’envisage aujourd’hui une coalition avec l’AfD. « Même si elle représente 25 % de l’électorat, la culture politique allemande l’empêche de gouverner », résume le spécialiste.

Le débat sur une éventuelle interdiction du parti est relancé, mais loin de faire consensus. Le ministre de l’Intérieur s’y oppose. « La solution viendra de l’imagination politique », estime Martin Baloge. « Si Friedrich Merz parvient à incarner un chancelier volontaire, notamment sur l’économie et l’immigration, l’AfD pourrait être limitée aux alentours de 20%. Sinon, elle continuera sa progression dans les urnes. »

Des manifestants assistent à une manifestation appelant à l’interdiction du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), à Berlin, Allemagne, le 11 mai 2025.
Christian Mang / REUTERS

La société civile, quant à elle, s’organise : manifestations de masse, prises de position des autorités religieuses ou de figures du secteur privé… Mais les partis traditionnels semblent piégés. Toute réponse trop musclée renforce le discours victimaire de l’AfD ; trop de modération favorise sa montée.