La semaine dernière a été marquée par la tenue des Journées Européennes des Métiers d’Art (JEMA) 2025, événement organisé dans les pays européens visant à promouvoir les savoir-faire d’exception, et de l’événement « Entrez en matières » organisé au musée d’Orsay à Paris. Devant une foule de visiteurs, de journalistes, et de groupes scolaires, ateliers et centres de formation du campus MoMADe ( Mode, Métiers d’Art & Design) ont démontré leurs savoir-faire dans la salle des fêtes.

À cette occasion, le ministère de la Culture a annoncé la création du « Printemps des Manufactures », festival “visant à renforcer l’ancrage territorial des savoir-faire d’exception et à susciter de nouvelles vocations”, dont le lancement aura lieu l’année prochaine, dans le cadre des JEMA. Une nouvelle tentative pour préserver les métiers d’art et savoir-faire d’exception français, qui pesaient 68 milliards d’euros en 2024 selon l’Institut pour les savoir-faire français, soit davantage que l’industrie pharmaceutique de l’Hexagone, et regroupaient 500.000 travailleurs dont 280.000 salariés.

Savoir s’adresser aux jeunes

En ce début de printemps, les artisans de la mode française ont à nouveau communiqué sur leurs inquiétudes face à un manque de renouvellement au sein de leurs effectifs, comme au salon Made in France de Première Vision et à « Entrez en matières ». L’un des enjeux principaux de l’attractivité de ces métiers reste la rémunération, pouvant être jugée comme trop faible, ce qui pousse à la réorientation professionnelle certains artisans.

L'événement Entrez en matièresL’événement Entrez en matières – Samuel Gut

Présent aux côtés de deux apprenties, Alain Schneider, directeur délégué aux formations du lycée des métiers du bois Léonard de Vinci de Paris, évoque avec fierté leur travail. L’établissement propose des formations allant du CAP accessoiriste au BTS développement réalisation bois, en passant par le diplôme de technicien des métiers du spectacle et le brevet professionnel menuiserie. Si les rangs de ce dernier diplôme ne sont pas gonflés, c’est parce que le lycée Léonard de Vinci n’est pas le seul à le proposer. En revanche, les jeunes candidats “se bousculent au portillon” pour accéder au CAP, où ils pourront apprendre à réaliser des accessoires et des décors de théâtre.

Sur le stand, les objets exposés n’ont pas été choisis au hasard. Collégiens et lycéens tournent autour des tables, devant le gant de l’antagoniste Marvel, Thanos, le buste du policier ours Hans Karup, de BlackSad, un pistolet alien ou encore les bracelets et le bouclier de Wonder Woman. Tous sont des projets de fin de diplôme. De quoi intéresser les curieux, et peut-être même faire naître une passion pour les métiers d’art. Le lycée s’adresse aussi aux adultes en reconversion professionnelle, avec des formations soutenues par l’Éducation nationale (GRETA), ou par la ville de Paris (SCAP).

Le pari de la formation en interne

Certaines manufactures font le choix de former leurs nouveaux employés. Il n’est parfois même pas requis d’avoir une formation de base au corps de métier concerné. La Manufacture de Sèvres propose ainsi un brevet des métiers d’art en céramique, où les places s’ouvrent lors de départs à la retraite. À l’issue de deux ans de formation, les apprentis doivent passer le concours de technicien d’art organisé par le ministère de la Culture. Ils resteront stagiaires pour une durée d’un an, à l’issue de laquelle ils rejoindront ou non l’équipe des artisans titulaires de la manufacture de Sèvres. En quatre ans, plus d’une vingtaine de recrutements ont ainsi été réalisés. Pour chaque poste à pourvoir, cinq ou six dossiers sont déposés en moyenne.

L'événement Entrez en matièresL’événement Entrez en matières – Samuel Gut

Le processus est encore plus simplifié dans les ateliers Bernardaud, spécialisés dans la porcelaine de Limoges. Les postes sont simplement promis aux plus motivés, car la formation s’effectue sur place. Grâce à ce système, l’embauche est facilitée, et l’équipe a doublé depuis la période de pandémie, passant de 300 à 600 employés.

Ces différents retours témoignent de l’inégalité des formations et des entreprises de l’artisanat français face au recrutement. Les métiers d’art restent très prisés, tandis que les métiers artisanaux et semi-artisanaux de production textile souffrent du manque de rémunération. « C’est un métier passion, les gens ne nous rejoignent pas pour les revenus », assure Brigitte Legay, PDG et responsable atelier de la SCOP Bocage Avenir Couture présente au salon parisien Made in France début avril. Présente dans le milieu depuis plusieurs décennies, elle témoigne du départ des professionnels, notamment des fraîchement formés, faute de rémunération à la hauteur de leur travail.

Créer des vocations grâce à la visibilité

Lors de la conférence “Le Made in France est-il en danger ?” du salon Première Vision, les discours se sont voulus réalistes. Outre la difficulté pour les entreprises de rémunérer leurs employés au-dessus du salaire minimum, “les métiers d’artisanat souffrent d’une dévalorisation”, déplore Ludovic Samson, PDG du groupe Financière des Eparses, dont font partie les marques La Française et Maison Solfin. Arnaud Perrier-Gustin, PDG de la marque Blanc Bonnet, ajoute : “Nous manquons clairement de notoriété. Tant que nous n’arrivons pas à toucher les médias de masse, nous avons le même problème, nous ne sommes pas connus”. Cela affecte les entreprises au niveau de la clientèle et du recrutement. »

Les événements ouverts aux groupes scolaires comme « Entrez en matières » portent alors tout leur sens grâce à la visibilité qu’ils offrent aux ateliers et manufactures. Malgré cela, le renouvellement des effectifs demeure une préoccupation importante alors qu’une récente étude de Jobteaser et Kantar estime que huit jeunes sur dix ne se projettent pas au-delà de cinq ans dans la même entreprise. Parler de temps long et d’expertise des métiers d’art à une génération vivant sur le temps court paraît donc difficile, mais centres de formation et ateliers d’artisanat ont conscience de l’impératif de trouver les arguments pour former et garder leurs futurs employés.

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