Willy Graff, journaliste depuis 20 ans à L’Est Républicain où vous dirigez la rédaction de Besançon, vous avez consacré près de 200 articles à l’affaire de cette étudiante japonaise disparue à Besançon en 2016. Vous avez suivi des centaines de faits divers, de l’affaire Daval à celle de l’anesthésiste Frédéric Péchier. Pourquoi avoir voulu consacrer un livre précisément à celle-ci ?
« L’idée ne m’est pas venue d’emblée. C’est au fil des années – 8 ans de procédure toute de même ! – que j’ai ressenti le besoin d’aller au-delà de l’article de presse classique, pour qu’il reste de cette histoire quelque chose de plus durable. La victime, Narumi, n’a jamais été retrouvée. Je ne dirais pas que j’ai écrit ce livre en sa mémoire, mais il y a un peu de cela tout de même, d’autant que je mesure la détresse absolue de sa famille. Mais c’est surtout une affaire hors normes, passionnante d’un point de vue professionnel. Sans oublier le côté exutoire : mettre tout cela noir sur blanc a été une façon, pour moi, d’externaliser en partie cette affaire, qui n’en finissait pas de tournicoter dans ma tête. »
Il y a de quoi ! Rares sont les dossiers avec autant de ramifications : trois continents concernés, une enquête d’anthologie avec une profusion d’investigations, des rebondissements judiciaires que vous décrivez par le menu…
« Oui. Besançon, ville de 120 000 habitants, est devenue l’épicentre d’une affaire qui a eu des répercussions médiatiques mondiales qu’on sous-estime, ici en France. La disparition inexpliquée de Narumi a secoué tout le Japon et tout le Chili… Cette dimension internationale sort de l’ordinaire, et m’a d’ailleurs amené à voyager jusqu’à Santiago, en 2019, pour les besoins du journal. Pour moi, le marqueur de cette affaire reste ce mystère qui demeure. On n’a pas de corps, ce qui est assez rare, et dans le même temps, l’enquête n’en a été que plus remarquable car cela a poussé les policiers et la juge d’instruction à repousser leurs limites. »
« Cette cassation est venue rebattre totalement les cartes »
Vous avez consacré à cette affaire des centaines de milliers de mots, entre les articles et le suivi en direct des procès sur internet. Comment avez-vous procédé pour synthétiser le tout, sachant que chaque pièce du puzzle semble signifiante ?
« Ça a été un vrai casse-tête. Les échanges avec mon éditrice m’ont beaucoup aidé car – travers de journaliste – j’avais envie d’être dans l’exhaustivité. Elle m’a aidé à ne conserver que les éléments significatifs. Ce qui m’a plu dans cette démarche d’écrire un bouquin, c’est que cela permet d’aborder les questions de diplomatie, de médiatisation et de stratégie judiciaire qui, au final, ont abouti à l’extradition de Nicolas Zepeda … Une extradition qu’on a longtemps pensé impossible ! Il s’agissait aussi de décrypter les deux procès , tout en restituant des moments forts d’audience, que j’avais à cœur de faire vivre au lecteur. »
Bien qu’ayant été condamné à deux reprises – à Besançon puis Vesoul – à 28 ans de réclusion, Nicolas Zepeda reste présumé innocent puisque, suite à une décision de la Cour de cassation, un troisième procès devra se tenir à Lyon en 2026. Dans quelle mesure cela a-t-il eu une incidence sur l’écriture de votre livre ?
« J’avais commencé à écrire ce livre sur la base d’une condamnation ferme et définitive. Cette cassation est venue rebattre totalement les cartes, de sorte que j’ai dû tout remanier en quelques semaines… »
Une seconde édition du livre est-elle prévue suite à ce procès à venir ?
« Ce n’est pas impossible. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun procès ne se ressemble, et il sera peut-être nécessaire de réactualiser le récit en fonction de son déroulé et de son issue. »
En attendant, quelle est votre intime conviction quant à la culpabilité de Nicolas Zepeda ?
« Joker. »
« L’Affaire Narumi – Un crime sans corps », de Willy Graff (éd. Presses de la Cité, 240 pages, 22 €). L’auteur participera à l’émission L’Heure du Crime sur RTL ce jeudi (14 h) et sera en rencontre-dédicace à la librairie L’Intranquille à Besançon ce vendredi (à partir de 17 h 30).