Dans cette galerie de Beaubourg, située aux abords du centre Pompidou et de ses autres nombreux marchands d’art, un tableau attire notre attention. Son aspect particulièrement lisse, un filtre lumineux et surtout un billet aux écritures aléatoires nous mettent la puce à l’oreille : il semble réalisé avec de l’intelligence artificielle.
Sur les avis Google de l’établissement, les doutes sont déjà bien présents : « N’achetez pas ces œuvres, c’est une arnaque », s’insurge un internaute. « Je trouve ça problématique de vendre ces œuvres dans une ville comme Paris qui regorge d’art authentique et d’architecture », ajoute un autre. Les prix, eux, oscillent entre 250 et 300 euros. « Oui, c’est fait avec de l’IA », nous confirme le galeriste. Il n’y a pourtant aucune mention explicite d’utilisation de cette technologie dans la présentation de l’œuvre.
Après plusieurs demandes d’interview infructueuses, nous décidons de nous rendre directement dans la boutique de l’artiste. D’abord catégorique, il affirme ne pas avoir recours à l’intelligence artificielle. Mais après quelques minutes d’échange, il finit par admettre en utiliser « à très faible dose », pour « 5 % du travail » seulement. « Je m’en sers comme d’un outil, pour créer un fond par exemple », précise-t-il, mettant en avant ses trente années d’expérience en atelier.
Dans une seconde boutique de Beaubourg, des cadres montrant une vue idyllique de la tour Eiffel au coucher de soleil, vendus 39 euros, attirent notre attention. Aucun artiste n’est en fait indiqué : « Il n’y a pas d’artiste, c’est de l’IA, explique le galeriste. Je ne fais que vendre, ce n’est pas moi qui les commande. »
Flou juridique
Jusqu’à présent, aucune loi n’oblige à mentionner le recours à l’IA dans la création d’une œuvre. Mais cela devrait changer. Voté en 2024 et censé être pleinement applicable le 2 août 2026, l’IA Act de l’Union européenne stipule que les systèmes d’IA générative doivent respecter les législations sur le droit d’auteur des 27 membres de l’Union, et faire preuve de transparence concernant le matériel utilisé pour leur entraînement.
La polémique ne se limite pas à Paris. En février, la maison Christie’s organisait sa première vente dédiée à l’art généré par IA, provoquant la colère de milliers d’artistes. « Beaucoup de ces œuvres sont réalisées avec des modèles qui se basent sur des œuvres protégées », dénonce Stephen McClymont, peintre signataire d’une pétition contre la vente.
Ce dernier ne voit pas pour autant cette technologie comme une concurrence : « Quand la photographie est arrivée, les peintres ont dû se réinventer. Les clients ne voulaient plus de portrait peint, puisqu’ils pouvaient l’avoir en quelques jours en photo. Mais les peintres n’ont pas arrêté de peindre. Ils ont inventé de nouvelles façons de dessiner le monde. Je pense que c’est la même chose avec l’IA ».